Zanele Muholi et la photographie comme pouvoir politique
Zanele Muholi
I 19.04.23 I Aya Abouelleil
L’actuelle exposition à la Maison Européenne de la photographie m’a permis de découvrir le.a grande artiste et activiste Zanele Muholi. Muholi c’est un.e photographe et activiste sud-africain.e non-binaire, dont le travail documente la vie de la communauté noire LGBTQIA+. Né.e en 1972 en pleine ségrégation raciale en Afrique du Sud, son travail s’inscrit dans l’intersection de son histoire personnelle et de l’histoire de son pays, avec notamment l’émergence progressive des mouvements contestataires anti-racistes et de défense des droits des femmes et des personnes queer. À travers ces différents projets et photographies, iel raconte des histoires à la fois individuelles et collectives, et cherche à rendre visibles les personnes queer racisées tout en questionnant les stéréotypes qui y sont associés.
L’actuelle exposition à la Maison Européenne de la photographie m’a permis de découvrir le.a grande artiste et activiste Zanele Muholi. Muholi c’est un.e photographe et activiste sud-africain.e non-binaire, dont le travail documente la vie de la communauté noire LGBTQIA+. Né.e en 1972 en pleine ségrégation raciale en Afrique du Sud, son travail s’inscrit dans l’intersection de son histoire personnelle et de l’histoire de son pays, avec notamment l’émergence progressive des mouvements contestataires anti-racistes et de défense des droits des femmes et des personnes queer. À travers ces différents projets et photographies, iel raconte des histoires à la fois individuelles et collectives, et cherche à rendre visibles les personnes queer racisées tout en questionnant les stéréotypes qui y sont associés.
L’appareil photo comme outil contre l’injustice
Zanele Muholi
En 1948 en Afrique du Sud, le système politique de l’apartheid est mis en place. Signifiant littéralement “état de séparation”, ce système politique oppressif impose une discrimination et ségrégation à l’encontre de la population noire sud-africaine. Ce système ne sera aboli qu’en 1991. La démocratie s’établit en 1994, suivie par une nouvelle constitution en 1996, la première au monde à interdire toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Mais malgré ce progrès, la communauté noire LGBTQIA+ reste la cible de violences et de préjugés. Se définissant comme “activiste visuel.le”, Zanele Muholi utilise son appareil photo comme outil pour combattre ces injustices. Son travail vise ainsi à célébrer les identités LGBTQIA+ noires tout en pointant les risques auxquels cette communauté reste confrontée. Pour l’artiste, c’est la meilleure façon de revendiquer leur “pleine citoyenneté”.
Muholi cherche à réinvestir des symboles et des images connus de tous.tes, pour se les approprier.
Dans ce cadre, Muholi a lancé plusieurs projets, individuels et collectifs. En 2012 elle entame “Somnyama Ngonyama” (Salut à toi, lionne noire! en zoulou). Dans cette série d’autoportraits, Muholi incarne différents modèles qui explorent des représentations de femmes noires à travers l’histoire. Certains tirages remettent en question la violence systémique, d’autres déconstruisent des stéréotypes oppressifs. Dans d’autres encore, Muholi utilise des objets domestiques du quotidien (pinces à linge, tampons à récurer, ustensiles ménagers) pour souligner les cadres socioculturels imposés aux femmes noires. Mais rien n’est laissé au hasard, chaque objet ou matière choisie cache un sens, une histoire. À titre d’exemple, dans un autoportrait Muholi utilise des feutres, qu’elle se met dans les cheveux. L’utilisation de ces feutres renvoie au “test de crayon”, pratique déshumanisante conçue pour aider le gouvernement sud-africain dans la catégorisation raciale sous l’apartheid. Afin de classifier les individus en fonction de leur couleur de peau, les autorités enfonçaient un crayon dans leurs cheveux. Si le crayon tombait, indiquant que les cheveux étaient raides plutôt que frisés, crépus ou bouclés, la personne était “classée” comme blanche.
Zanele Muholi
Muholi cherche également à réinvestir des symboles et des images connus de tous.tes, pour se les approprier. Dans cette photographie Muholi se fait par exemple une couronne d’éponges, symbolisant d’une part une coupe afro, et de l’autre le diadème de la statue de la liberté. Plusieurs autres photos reprennent des compositions ou des structures d’art classique, nous renvoyant à des représentations connues et maîtrisées, mais blanches et européennes. Ses créations nous permettent ainsi de délimiter et de réinventer ces codes. Le poids des photos de cette série est d’autant plus marqué et marquant par le contraste très élevé entre le noir et le blanc des photographies. On ne peut que ressentir de la force et de la résistance à leur vue.
La Velata de Raphaël
Zanele Muholi
La Vierge voilée de Giovanni Strazza
En 2014 Muholi entame le projet “Brave Beauties” (beautés courageuses), en photographiant des personnes transgenres et non-binaires qui sont des drag queens et des candidat.es à des concours de beauté queer. Ces concours de beauté offrent un espace de résistance au sein de la communauté noire queer, en leur permettant d’exprimer une beauté qui échappe aux cultures hétéronormatives blanches. Pour cette série Muholi s’est notamment inspiré des shootings de mode, se demandant si on pourrait ou non montrer l’image d’une femme transgenre en couverture d’un magazine dans l’Afrique du Sud actuelle.
Zanele Muholi
Zanele Muholi
S’emparer de l’espace public
En 2006, Muholi entame le projet “Queering public space”. En photographiant des participant.es noir.es LGBTQIA+ dans les espaces publics, Muholi donne une dimension queer à cet espace. C’est une part importante de son activisme visuel. “Nous ‘queerons’ l’espace afin d’y accéder. Nous présentons notre transition au monde afin de nous assurer que les corps trans noirs fassent également partie de l’espace public. Nous le devons à nous-mêmes” déclare l’artiste. Plusieurs des lieux représentés ont marqué l’histoire de son pays, notamment les espaces urbains historiques, les quartiers ouvriers et les fronts de mer tels que la plage de Durban, située près du lieu de naissance de Muholi. Soumises à la ségrégation pendant l’apartheid, les plages sont de puissants symboles de la ségrégation raciale dans tous les aspects de la vie.
Zanele Muholi
Zanele Muholi
Zanele Muholi
Il devient primordial pour les minorités, partout, de se ré-approprier l’espace public et physique, le ré investir, être présents là où nous n’avons pas eu l’habitude et la possibilité d’être présents, d’être visibles.
Comme l’explique Emmanuelle Le Texier dans “Minorités et espace public dans la ville”, l’espace public constitue la matérialisation physique de la sphère publique (suite d’institutions et d’activités qui a pour fonction de médier les relations entre l’État et la société). Cet espace public se transforme parfois en espace d’exclusion d’acteurs qui n’ont pas (ou à qui on n’a pas donné) la possibilité de participer politiquement. Il devient donc primordial pour les minorités, partout, de se ré-approprier l’espace public et physique, le ré investir, être présents là où nous n’avons pas eu l’habitude et la possibilité d’être présents, d’être visibles.
S’inscrire sur la carte
Un des projets qui m’a le plus marqué de Zanele Mulohi est le projet “Faces and Phases” . Projet entamé en 2006, il compte actuellement plus de 500 images. Le but étant de dresser un portrait collectif qui documente les membres de la communauté LGBTQIA+ en Afrique du Sud: “C’est important de marquer, de cartographier et de préserver nos moments/ mo(uve)menés à travers des histoires visuelles pour les archives et la postérité, afin que les générations futures sachent que nous étions là.” Le mot “Faces” fait référence aux individus, et “Phases” suggère différentes étapes de leur vie. Confrontant notre regard, iels sont photographié.es à égale distance de l’appareil photo et selon le même protocole: en lumière naturelle, en noir et blanc, sans artifice.
Muholi revient régulièrement photographier les mêmes personnes, et ces portraits sont souvent le fruit d’une collaboration continue à travers le temps. Les vides dans la grille symbolisent les personnes dont le portrait n’a pas encore été réalisé. Ces “trous” marquent à mon goût le caractère illimité et infini de la communauté, dépassant l’existence même de l’artiste et de son projet. Véritable archive vivante, “Faces and Phases” matérialise la conviction de Zanele Muholi selon laquelle “nous exprimons notre identité sexuée, radicalisée et de classe de manière riche et diverse.”
Zanele Muholi à la Maison Européenne de la Photographie
Zanele Muholi à la Maison Européenne de la Photographie
Zanele Muholi à la Maison Européenne de la Photographie
La représentation du collectif au centre de la vie et du travail de Muholi
En parallèle de ces témoignages visuels, figés, Zanele Muholi a créé un média du nom de “Inkanyiso”. Cette plateforme permet d’archiver des témoignages écrits, parlés, filmés. Elle permet aux concerné.es de partager leur histoire avec leurs propres mots. Cette représentation du collectif est au centre de la vie et du travail de Muholi. Ses photographies sont justement destinées à créer un sanctuaire où les gens peuvent se connecter et guérir ensemble. Elles suggèrent une autre façon de connaître et de préserver la communauté en devenant un lieu, dit l’artiste “où nous faisons émerger nos propres récits vivant au-delà de nous”.
Derrière ces photos, il y’a des histoires que nous racontons, et je veux que la mienne soit entendue
Des participant.es du projet Faces and Phases s’expriment sur ce que le projet représente pour iels: “Lorsque j’ai rencontré la.le professeur.e Muholi, je pensais que “Brave beauties” se résumait à être prise en photo et à être belle. Mais au fur et à mesure que je participais au projet, j’ai commencé à mieux comprendre son objectif. Je veux faire partie de l’histoire pour les générations à venir, dire qu’il y’avait une Candice qui a participé aux luttes de la communauté LGBTQIA+. Derrière ces photos, il y’a des histoires que nous racontons, et je veux que la mienne soit entendue” ou encore “À Durban, j’ai rencontré Leticia, une femme transgenre, qui m’a présenté le centre communautaire LGBTI. Elle m’a parlé du projet “Brave Beauties”. Lorsque j’ai été présentée à Sir Muholi, j’ai eu l’impression de retrouver le père que j’avais perdu. Rencontrer d’autres filles a beaucoup changé les choses – nous sommes comme des soeurs, nous parlons de notre douleur, nous en rions et nous réalisions que nous avons nous aussi une place dans ce monde (…) Je me produis sur scène parce qu’en tant que “Brave Beauty”, il est important d’être visible et de faire en sorte que les autres nous considèrent et nous respectent comme n’importe quel autre être humain”.
Au-delà de l’aspect esthétique des photographies de Zanele Muholi, c’est indéniablement son engagement qui rend son œuvre d’autant plus forte pour moi. En discutant un jour avec un ami sur le rôle de l’art, il me soutient qu’on ne peut pas -ou plus- se permettre de ne pas produire de l’art engagé. S’ensuit une réflexion sur la fonction et l’utilité de l’art. Mon avis est plus nuancé sur le sujet. Je pense que créer dans le simple but de créer est bénéfique en soi. Néanmoins je suis consciente de la limite de la portée d’une œuvre purement esthétique. À la sortie de cette exposition, je n’ai pas découvert uniquement une photographe et ses œuvres, mais une multitude de personnes et d’histoires. Des histoires de joie, de tristesse, de révoltes. Ce sont finalement les valeurs qu’on retient: le partage, le collectif, la construction d’une communauté bienveillante et d’entraide, la transmission. Ayant réalisée l’importance et la nécessité de création de ces espaces dans ma vie personnelle, j’y suis particulièrement sensible. Alors si ces mots -ou quelques-uns- vous parlent, la Maison européenne de la photographie présente la première rétrospective en France consacrée à Muholi. Elle rassemble plus de 200 œuvres créées depuis les années 2000 et couvrant toute l’étendue de la carrière de l’artiste à ce jour. L’exposition est encore en place jusqu’au 21 Mai 2023.
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