ENTRE VOUS ET MOI
Trouver son identité quand on est métisse
Crédit photo : Pexels Joshuaabner
I 18.12.24 I Mona Koyamba
« Je suis métisse, un mélange de couleurs ». On connaît tous·tes cette fameuse phrase entonnée dans la célèbre chanson de Yannick Noah, “Métis(se)” sortie en 2005.
Un refrain si entraînant et si joyeux, qui fait en réalité écho à une quête identitaire beaucoup plus complexe.
Je suis métisse, mais pas issue du couple « classique » blanc·he – racisé·e, qui, souvent imposé par la force dans un contexte esclavagiste et colonial, a donné naissance à ce fameux adjectif.
Moi, je suis le fruit d’un mélange entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Mi-Amazigh/Arabe, mi-Yakoma*. Mi-Marocaine, mi-Centrafricaine.
Un mariage que certain·es peuvent qualifier « d’original », « peu commun » (moi y compris). C’est vrai que j’ai quasiment jamais connu de personnes issues de ce mélange spécifique, si ce n’est celle qui gère le compte Instagram @maghribantou).
À cela s’ajoute la France, mon pays de naissance, qui est aussi celui de mes parents.
Je me retrouve ainsi avec trois nationalités distinctes, dont les liens ont historiquement été créées dans la douleur (colonisation, esclavage).
J’ai toujours considéré cet entrecroisement de cultures comme une force, un signe distinctif qui me démarque des autres. Et plus particulièrement mes cultures africaines. Je suis à chaque fois émerveillée devant les spécialités culinaires de mes deux côtés, autant que par la sonorité mélodieuse de leurs langues respectives : le darija et le sango. Ce qui me rend encore plus fière et heureuse, c’est d’entendre mes parents parler, tant bien que mal, dans la langue de leur partenaire, en apprenant que certains mots se retrouvent dans leurs deux langues, pourtant très éloignées**.
Mais la contemplation ne dure qu’un temps, car se pose rapidement LA question : qui suis-je dans tout ça ?
J’ai d’abord tenté de quantifier mes origines.
N’ayant aucune racine en France – mes aïeuls étant né·es en Afrique – , j’ai conclu que j’étais 50% Centrafricaine, 50% Marocaine, et un peu Française/Alsacienne (quand même). J’ai également essayé d’équilibrer mon apprentissage de ces cultures, en m’initiant au sango et aux danses traditionnelles centrafricaines, sans négliger pour autant les danses et la cuisine marocaine ; connaissant déjà à peu près tout de la France et de l’Alsace.
Mais je me suis vite rendue compte que tenter d’appliquer une logique rationnelle à quelque chose d’à la fois tangible et intangible était vain, tant le ressenti fluctue en fonction de mes envies et moments de vie.
Je me sens Marocaine quand je mange du couscous, quand je suis avec ma famille maternelle, ou quand je voyage au Maroc (même s’il y a toujours ce syndrome de l’imposteur qui m’accompagne à cause de la barrière de la langue).
Je me sens Centrafricaine/Yakoma quand je mange des spécialités du pays comme le ngoundja***, quand je suis avec ma famille paternelle, ou quand j’écoute des musiques du bassin Congo.
Je me sens Française devant les exploits sportifs d’athlètes talentueux·ses et les combats politiques menés par des militant·es courageux·ses.
Et puis en fait, je me sens les trois à la fois. Car ces trois pays me sont intrinsèquement liés, bien qu’à des degrés divers : la France est mon pays de naissance mais mes racines demeurent au Maroc et en Centrafrique.
Lors de mon Erasmus au Pays-Bas, j’ai appris un concept qui a résonné en moi : celui de la mestiza****.
La mestiza, c’est cette personne hybride, à la croisée d’identités, parfois contraires ou antagonistes. C’est celle qui « sort continuellement d’une culture pour entrer dans une autre, car [elle est] dans toutes les cultures à la fois *****».
Voilà résumée en une phrase cette quête identitaire propre aux personnes issues de cultures et territoires divers, dont je fais partie.
Finalement, entre vous et moi, nous sommes tous et toutes des mestiza, qui portent en elleux un pêle-mêle de cultures, de traditions, et de croyances, marqueurs de notre identité plurielle.
Alors, qui suis-je dans tout ça ? Eh bien je suis Mona, franco-centrafrico-marocaine, et fière d’incarner tous ces pays à la fois.
*Nom de mon ethnie, qui fait partie des peuples habitant le long du fleuve Oubangui
**Le mot vache par exemple, se dit pareil en darija et en sango (« baghara »)
***Plat de viande en sauce fait à base de feuille de manioc, de pâtes d’arachide, d’huile de palme, et communément dégusté avec des boules de manioc
****Gloria Anzadula, « La conciencia de la mestiza», in La Frontera/Borderlands (1987)
*****« Una luchas des fronteras/A Struggle For Borders », poème extrait du chapitre « La conciencia de la mestiza »
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