SPOTLIGHT SUR : Ma Tonkinoise, une enquête documentaire sur l’Indochine Française par Hanaë Bossert
Crédit photo: ©Jessica Felicio
I 25.04.23 I Olivia Nore
Ma Tonkinoise est une enquête familiale dans les mémoires enfouies de l’Indochine française par Hanaë Bossert. En tirant le fil de son histoire familiale, de Saigon en 1954 à Marseille en 2024, Hanaë se confronte à l’amnésie et ses conséquences, comme l’oubli de la langue, des rites, de la culture et finalement des mémoires historiques et intimes.
Ma Tonkinoise est une enquête familiale dans les mémoires enfouies de l’Indochine française par Hanaë Bossert. En tirant le fil de son histoire familiale, de Saigon en 1954 à Marseille en 2024, Hanaë se confronte à l’amnésie et ses conséquences, comme l’oubli de la langue, des rites, de la culture et finalement des mémoires historiques et intimes.
Une enquête intimiste pour libérer la parole
Tout débute lors du décès de sa grand-mère, Gisèle, qui fut comme un électrochoc. « Je ne me suis jamais vraiment posé la question de sa culture.». Pour connaître son histoire, Hanaë s’est retrouvée face à une page blanche, à la fois dans ses recherches documentaires où elle ne trouvait rien mais aussi familiale où les coutumes liées à ses origines vietnamiennes étaient peu transmises et non expliquées.
“L’histoire pointe du doigt une béance mémorielle. Les archives – il y avait un manquement, une urgence dans la mémoire orale de cette guerre parce que c’était il y a 70 ans – c’est des paroles qui disparaissent.”
Progressivement elle va chercher à retrouver ses racines. Cela va commencer par les rites funéraires lors du décès de sa grand-mère, puis un retour aux racines en allant au Vietnam et enfin en questionnant sa famille. Cette quête identitaire aura duré 6 années.
Huế, Vietnam – Crédit photo: Thu-An Duong
La famille, l’ultime dénouement à son histoire
Le départ de cette quête reste la méconnaissance de sa culture. Mais pourquoi ? Ce manque de transmission s’explique par le modèle intégrationniste de sa grand-mère. C’est un phénomène que l’on retrouve très fréquemment dans les familles d’immigré·es. Pour mieux s’intégrer, être Français·e, se protéger, ne pas faire de vague, la grand-mère d’Hanaë a poussé toute sa descendance à être française avant tout. Ce qui aura pour conséquence l’effacement d’une histoire familiale.
“Si ma grand-mère n’a pas raconté son histoire personnelle c’était pour que ses enfants s’intègrent le mieux possible et échappent à ce qu’elle avait vécu. »
Durant sa quête, en remontant le fil de son histoire familiale, elle découvre et comprend les liens étroits entre l’immigration des siens et la France coloniale à cette époque. En partant de son récit familial, Hanaë dénoue une Histoire française, celle de la colonisation indochinoise, peu racontée par les personnes concernées. Pendant 4 épisodes, elle mêle quête personnelle, faits historiques, témoignages, montage sonore et nous transporte durant la guerre, la colonisation et l’exil que des millions d’autres personnes ont connus.
Un passé et héritage difficiles dû à la colonisation
Le contexte, elle le connaît : sa grand-mère est partie du Vietnam avec un militaire français à la fin de la guerre pour rejoindre la France. Et ensuite ? Plus rien. La pièce de théâtre Saïgon de Caroline Guiela Nguyen va lui apporter des éléments de réponses sur l’amnésie de la colonisation en mettant en scène les ictus amnésiques. Fréquemment provoqués par une situation de stress ou traumatisme, les ictus amnésiques est un trouble que l’on retrouve fréquemment chez les « Viet Kieu » cell·eux qui sont éternellement vietnamien·nes et éternellement étrangers.
« Les fantômes n’appartiennent pas au passé. Les ictus amnésiques montrent tout ce que l’exil a provoqué. Dans nos familles on a tenté d’enfouir plein de choses et à un moment, elles veulent ressortir. Qu’est-ce qui s’est joué au moment de l’arrivée en France pour que tout soit mis sous le tapis et comment nous les descendant·es avons appris à vivre avec ? »
Plusieurs faits à ce silence : la violence de la colonisation donc la guerre, l’exil et les conditions d’accueil en France.
Dans notre article sur le podcast “Vietnam-sur-lot” d’Alix Douart, nous revenons sur les conditions d’accueil à cette époque. De nombreux rapatriés de guerre d’Indochine sont arrivés au CAFI : un ancien camp militaire basé à Saint-Livrades. Les conditions précaires et insalubres des logements, le traitement de l’administration française, le traitement des professeurs envers les élèves, le racisme des blancs envers “les Chinois verts”, l’envoi des enfants dans des familles d’accueil ont accentué cette volonté de vouloir oublier le passé de façon consciente ou inconsciente. Le silence passe aussi par la volonté du pays d’accueil de rejeter, nier en bloc toutes responsabilités liées aux conséquences encore présentes aujourd’hui de la colonisation. Comment est-il possible d’extérioriser un mal, un traumatisme lorsque celui-ci est minimisé voire effacé de l’histoire par le pays d’accueil qu’est la France ?
“Comment ça se fait que personne ne sache que les Français ont utilisé du Napalm au Vietnam par exemple ? Pourquoi les récits mémoriels de cette guerre occupent une si petite place dans l’espace public ? C’est comme si je devais faire l’autopsie d’un oubli”
Lancement de la série sonore « Ma Tonkinoise » à la Gaîté Lyrique – Crédit photo: Louie Media
Et maintenant
Les anciennes générations par leur traumatisme ont, par instinct de survie, enfoui, effacé leur histoire. De plus, la narration documentaire étant très peu fournie ou bien biaisée, car souvent les études n’étaient pas tournées vers les personnes concernées, il y a eu une urgence du témoignage oral comme ce podcast pour ne pas oublier mais aussi pour soulager les uns et les autres et libérer la parole.
“La politisation c’est cet art de l’attention, parler c’est mettre la lumière sur un sujet le faire exister le faire grandir.”
Qu’en est-il des nouvelles générations ? Celle-ci tente de se réapproprier l’histoire en multipliant les récits, en donnant de la visibilité dans les médias, pousser dans la pétition, se mobiliser sous toutes les formes possibles : théâtre, documentaire, livre, média.
“Pour moi le travail des descendant·es raconte aussi ça, passer de la violence subie à la beauté créée.”
Leur action permet la libération de la parole de la génération de leur parent et le début de leur quête vers la paix intérieure comme la mère d’Hanaë qui prend des cours de vietnamien ou bien Henriette qui a décidé de changer de prénom pour Kim.
Crédit photo: Coutoisie Hanaë Bossert
Pour aller plus loin
Hanaë nous a partagé sa liste de livres et films à absolument lire ou regarder pour mieux comprendre toute ce passé, cette complexité :
- La langue de ma mère de Tom Lanoye
- Un bref instant de splendeur d’Océan Vuong
- Le silence de mon père de Doan Bui
- Le sympathisant de Viet Thanh Nguyen
Elle recommande également la pièce de théâtre Saïgon de Caroline Guiela Nguyen et le film documentaire “Les rivières” de Mai Hua
Suivre les traces de ma grand-mère ne m’a pas fait découvrir le Vietnam, cela m’a fait découvrir l’exil du Vietnam. Son salon dans lequel j’ai passé tant d’heures me paraît maintenant beaucoup plus mélancolique que folklorique. Ce n’est pas un salon de vietnamienne, c’est un salon de “Viet kieu”, un salon de vietnamienne qui est partie, qui a connu la guerre, le départ, l’intégration : finalement une histoire française.
Cette quête de 6 années a été un long chemin vers la vérité, un passé douloureux, colonial, la libération de la parole et enfin la guérison, merci Hanaë de nous avoir embarqué avec toi dans cette aventure sonore.
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