Sportifs•ves et racisés•es : l’émancipation par le sport

I 23.07.24 I Mona Koyamba

Les sportif·ves racisé·es ont depuis longtemps grandement contribué aux exploits sportifs des pays comme la France dans les compétitions internationales. De par leur statut de descendant•e·s d’immigré·e·s postcoloniales, ces athlètes entretiennent une relation particulière au sport, entre enjeu d’intégration et volonté d’émancipation.

Les sportif·ves racisé·es ont depuis longtemps grandement contribué aux exploits sportifs des pays comme la France dans les compétitions internationales. De par leur statut de descendant•e·s d’immigré·e·s postcoloniales, ces athlètes entretiennent une relation particulière au sport, entre enjeu d’intégration et volonté d’émancipation.

Les familles immigrées et le sport, ou comment relancer un ascenseur social en panne

Nombre de sportifs descendants d’immigré·es ont témoigné du soutien important de leurs parents dans des documentaires qui leur sont dédiés. Cela nous amène à penser que le sport occupe une place particulière au sein des familles marquées par la migration.

Pensé comme un outil de canalisation de la jeunesse des quartiers défavorisés par l’action publique française, le sport a été imbriqué dans la politique plus large d’intégration, comme un moyen d’intégrer les populations défavorisées et stigmatisées dans d’autres pans de la société. Cet enjeu d’intégration se dilue dans les politiques publiques, et parfois jusque dans les familles, certaines ayant été inspirées par le célèbre mythe du “Black, Blanc, Beur”, lui même construit par la médiatisation des exploits sportifs des personnes issus de l’immigration. La réussite de sportifs comme Zinédine Zidane, Marie-José Pérec, Teddy Riner, Kylian Mbappé, Wendie Renard, et tant d’autres, inspire petits et grands marqués par la migration. Comme le rappelle le sociologue William Gasparini, ces parcours glorieux “nous montrent qu’à la différence de la culture, de l’économie ou de la politique, le sport semble pouvoir fonctionner comme un ascenseur social”.

Néanmoins, comme celui-ci le souligne, ces exploits, mis ainsi en avant, sont comme l’arbre qui cache la forêt ; celle des nombreux jeunes issus de l’immigration qui rencontrent des difficultés d’insertion socio-professionnelle, du fait d’un environnement en proie aux inégalités socio-économiques et le racisme. Un racisme auquel n’échappent pas ces sportifs médaillés : malgré leurs exploits sportifs censés témoigner d’une “bonne” intégration, iels peuvent encore être exclus de la définition de ce qu’est être français.se.

Se réapproprier des sports de “blancs” : naviguer entre stéréotypes et émancipation

Les sportifs marqués par la migration et l’intégration ont donc dû (et doivent toujours) jongler entre déconstruction des stéréotypes et surpassement de soi.

L’histoire nous a en effet montré que certains sports sont longtemps restés réservés à une certaine catégorie de la population, pour des raisons parfois culturelles, mais plus souvent du fait d’une logique de discrimination. Le football est l’un des exemples les plus édifiants, pratiqué au départ par les hommes blancs, puis amené aux hommes issus des colonies. Raoul Diagne, fils de Blaise Diagne, fut ainsi le premier joueur noir a joué pour l’Équipe de France de football. Les femmes blanches ont dû quant à elles attendre des décennies pour avoir le droit de pratiquer ce sport dit “viril” qui risquait d’abîmer leur corps fragile. Ne parlons pas des femmes racisées, qui, à l’image des premières vagues du féminisme, ont souvent été invisibilisées. Il suffit par exemple de taper “première footballeuse noire/arabe” dans la barre de recherche et d’observer la quasi-absence de ressources sur ces pionnières. Il faut se tourner du côté des anglo-saxons pour pouvoir trouver des noms et des visages. Nous pouvons ainsi citer Kim Crabbe, qui est la première footballeuse afro-américaine a avoir joué pour la sélection du pays du “soccer”.

Crédit photo: Raoul_Diagne_1930_Wikimedia Commons_©Agence Rol

D’autres sports, moins médiatisés, ont aussi longtemps échappé à la mixité. L’athlétisme, qui fait partie aujourd’hui des épreuves phares des Jeux Olympiques, était au départ dominé par les athlètes caucasiens, dans un contexte colonial et d’affirmation de la supériorité de la race blanche. Le succès des athlètes afro-américains aux Jeux Olympiques de Berlin de 1936 a rapidement mis fin à ce mythe, mais en a crée un autre dans la foulée : celui de l’homme noir naturellement prédisposé à la performance brute et dénoué de toute forme d’intelligence et de sérieux. Une croyance qui persiste encore aujourd’hui dans la couverture médiatique des compétitions d’athlétisme, ce qui amène certains athlètes a inconsciemment l’intériorisé.

Cependant, nombre d’athlètes tentent aujourd’hui de dépasser ces carcans genrés et racialisants, en se réappropriant des pratiques sportives historiquement excluantes. Inspirée par le parcours de Marlène Hauterville, première escrimeuse guadoulpéenne a être sélectionnée en Equipe de France, la légende Laura Flessel a donné un nouveau souffle à la pratique de l’escrime dans les Antilles, se réappropriant un sport que ses ancêtres ont eux-même faits au moment de l’abolition temporaire du Code Noir. Autre exemple récent : celui de la (ou plutôt) les performances du cycliste érythréen Biniam Girsay, qui est devenu le premier africain à remporter des étapes du Tour de France, déjouant les pronostics et les préjugés. Mais cela n’a rien d’étonnant, dans un pays animé par l’amour du vélo, importé par l’Italie au moment de son occupation coloniale : à l’instar de Biniam Girsay, nombre d’érythréens voient dans ce sport un moyen de s’évader et de s’émanciper d’un cadre politique autoritaire.

Les Jeux Olympiques de Paris seront donc l’occasion pour les athlètes racisés de performer au plus haut niveau, et par la même occasion, de montrer que leur place peut être aussi là où ils ne sont pas attendus.

Pour aller plus loin :

• L’article “Football et Immigration En France “ par le Musée de l’Histoire de L’immigration
• L’épisode 2 du podcast de France Culture Une Histoire des Sports initulé ‌“Du Code Noir à l’or Olympique, Une  Histoire de l’Escrime Aux Antilles
•‌ L’article du Monde “« Noirs costauds » et « Blancs intelligents » : comment le sport entretient les préjugés  raciaux”, par Clémence Guillou et Maxime Goldbaum

 

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