Nos Corps Empoisonnés – un acte féministe et décolonial
Crédit Photo : Pauline Le Goff
| 16.03.2025 | MÉLINE KEOXAY
Nos Corps Empoisonnés est une pièce mise en scène par Marine Bachelot Nguyen, autrice et metteuse en scène franco-vietnamienne, et interprétée par Angelica-Kiyomi Tisseyre Sekine, comédienne et danseuse française d’origine japonaise et vietnamienne. C’est un récit intimiste qui revient sur la vie et le parcours inspirant de la courageuse Tran To Nga, ancienne journaliste vietnamienne et militante emblématique du combat contre l’Agent orange. Grâce à un meet-up organisé par le collectif Décolonisons le Féminisme, j’ai eu la chance d’assister à une représentation organisée le 13 février 2025 par le collectif Vietnam Dioxine au théâtre des Bergeries à Noisy-le-sec.
Cette œuvre théâtrale poignante nous plonge dans l’intimité de Tran To Nga. Seule sur une estrade au décor sobre mais efficace, Angelica-Kiyomi incarne avec puissance la voix de Tran To Nga. À travers un monologue vibrant, elle tisse le fil de ses souvenirs et des événements marquants de son existence, entremêlés à son combat judiciaire historique contre les multinationales responsables de L’Agent orange.
Nos Corps Empoisonnés est une pièce mise en scène par Marine Bachelot Nguyen, autrice et metteuse en scène franco-vietnamienne, et interprétée par Angelica-Kiyomi Tisseyre Sekine, comédienne et danseuse française d’origine japonaise et vietnamienne. C’est un récit intimiste qui revient sur la vie et le parcours inspirant de la courageuse Tran To Nga, ancienne journaliste vietnamienne et militante emblématique du combat contre l’Agent orange. Grâce à un meet-up organisé par le collectif Décolonisons le Féminisme, j’ai eu la chance d’assister à une représentation organisée le 13 février 2025 par le collectif Vietnam Dioxine au théâtre des Bergeries à Noisy-le-sec. Cette œuvre théâtrale poignante nous plonge dans l’intimité de Tran To Nga. Seule sur une estrade au décor sobre mais efficace, Angelica-Kiyomi incarne avec puissance la voix de Tran To Nga. À travers un monologue vibrant, elle tisse le fil de ses souvenirs et des événements marquants de son existence, entremêlés à son combat judiciaire historique contre les multinationales responsables de L’Agent orange.
Tran To Nga, petite graine de grande résistante
Nos Corps Empoisonnés débute par son enfance, bercée par la lutte pour l’indépendance du Vietnam face à la colonisation française. Dès son plus jeune âge, Tran To Nga observe attentivement les adultes qui l’entourent, absorbant leurs valeurs de résistance et d’amour pour leur pays. Iels lui transmettent également un profond respect pour la nature environnante, symbole de la terre qu’ils défendent. Très tôt, Nga rejoint le combat en devenant messagère clandestine pour les indépendantistes vietnamien·ne·s, portant avec courage dans son petit cartable d’écolière les messages vitaux que lui remet sa mère.
Sur scène, Angelica-Kiyomi incarne tour à tour l’enfant curieuse, aux yeux grands ouverts sur un monde en pleine mutation, puis l’adolescente déterminée et farouchement engagée. Le public assiste à la naissance d’une résistante, une graine de courage et de détermination semée dès l’enfance et nourrie par un environnement imprégné de lutte et d’espoir. La performance d’Angelica-Kiyomi donne vie à cette évolution, insufflant une intensité émotionnelle qui transporte les spectateur·rice·s dans le passé tumultueux du Vietnam, tout en éclairant les racines profondes de l’engagement de Tran To Nga.

Crédit photo : Pauline Le Goff
La pièce nous plonge dans les maquis vietnamiens où Tran To Nga combat durant la guerre du Vietnam. Face aux forces américaines, les combattant·e·s du Front National de Libération (FNL) utilisent la guérilla dans les jungles denses. Malgré des conditions de vie précaires – climat rigoureux, bombardements incessants, manque de nourriture et de médicaments – leur solidarité et leur détermination restent inébranlables, portées par un objectif commun : la libération du Vietnam.
Angelica-Kiyomi transmet la peur, la douleur, mais aussi la résilience et l’espoir de ces années de lutte acharnée. Sur cette scène recouverte de terre, avec pour seul décor un écran projetant des images d’archives du Vietnam, le public s’imagine la jungle où évoluent avec courage les résistant·e·s vietnamien·ne·s. La mise en scène immersive rend hommage à leur détermination inébranlable et à leur sacrifice pour la liberté.
Écocide et Colonialisme : Briser le Silence sur l’Agent Orange
Nos Corps Empoisonnés, c’est aussi le récit du combat de Tran To Nga contre les multinationales responsables de l’Agent orange, utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam pour détruire la jungle servant de refuge à la résistance autochtone. Hautement toxique, ce défoliant a contaminé des millions de civils, causant maladies graves et malformations sur plusieurs générations. Conséquence directe de l’impérialisme américain, cette catastrophe humanitaire est considérée comme le premier écocide de l’histoire.
Sur scène, Angelica-Kiyomi nous plonge avec émotion dans le moment tragique où Tran To Nga a été exposée à l’Agent orange. Cet instant est dévastateur et les conséquences, encore invisibles à l’époque, se révéleront bien plus tard, affectant non seulement sa propre vie, mais aussi celle de ses enfants et petits-enfants. Angelica-Kiyomi incarne la douleur, la résilience et la lente prise de conscience des ravages d’un produit chimique.
Nos Corps Empoisonnés dénonce l’impunité scandaleuse des multinationales responsables de l’Agent orange et des États-Unis, qui refusent toujours de reconnaître leur culpabilité. Ce déni révèle la persistance d’une pensée coloniale qui considère les vies non blanches, en l’occurrence ici asiatiques, comme négligeables. Tran To Nga, aujourd’hui âgée de 83 ans, poursuit son combat pour obtenir justice non seulement pour elle-même, mais aussi pour toutes les victimes de l’agent orange, qu’elles soient vietnamiennes, américaines, cambodgiennes ou laotiennes. Les effets dévastateurs de ce défoliant continuent de se transmettre aux générations suivantes, faisant de cette catastrophe humanitaire un fléau toujours d’actualité. C’est un combat historique pour les droits des victimes de l’Agent orange et un appel à une justice environnementale et décoloniale.
En affrontant un crime colonial encore impuni, Tran To Nga remet en question la domination impérialiste de l’Occident. À ce jour, aucun centime n’a été versé aux victimes vietnamiennes, laotiennes et cambodgiennes, bien que les ravages de l’Agent orange continuent de marquer leurs vies. Quant aux vétérans américains, lorsqu’ils se sont mobilisés en 1984 pour porter plainte contre les multinationales incriminées, leur silence a été acheté moyennant une somme d’argent dérisoire au vu du nombre de victimes, une compensation d’autant plus ridicule qu’elle ne couvre pas leur descendance. Enfin – et c’est probablement l’une des informations les plus scandaleuses que nous ait été donné l’équipe à la fin de la pièce – à l’issue de la guerre, les américains ont dressé un embargo contre les vietnamiens et n’ont accepté de lever qu’à la condition suivante : jamais le Vietnam n’attaquera les États-Unis en justice pour l’utilisation de l’Agent Orange. Ainsi, en éclairant ce combat judiciaire, la pièce révèle l’injustice profonde et la complexité de cette lutte pour la vérité. Tran To Nga refuse l’oubli et incarne la résistance face à un impérialisme qui refuse de rendre des comptes, portant un appel à la justice pour toutes les communautés colonisées.

Crédit photo : Pauline Le Goff
Angela-Kiyomi parvient à faire résonner la détermination de cette militante en livrant une performance à la fois sensible et puissante. Par ses gestes précis et son regard habité, elle traduit la douleur, le courage et l’espoir d’une femme marquée par l’injustice, mais jamais brisée par l’adversité. Angelica-Kiyomi ne se contente pas de raconter une histoire ; elle la vit pleinement, emmenant le public au cœur du combat de Tran To Nga. Sa voix porte avec force les paroles de résistance et de justice, transformant la scène en un véritable espace de lutte. Son interprétation transcende le simple récit pour devenir un acte militant à part entière, incarnant la mémoire vivante des victimes et exigeant réparation.
Nos Corps Empoisonnés, un Acte Féministe
Enfin, cette pièce résonne comme un hommage puissant aux femmes vietnamiennes qui ont joué un rôle crucial dans la lutte pour l’indépendance de leur pays. Leur engagement allait bien au-delà des combats armés. Elles étaient au cœur de la résistance, assumant des responsabilités essentielles telles que la logistique, les soins aux blessé·e·s et la transmission de messages vitaux. Présentes sur tous les fronts, elles ont orchestré le soutien aux combattant·te·s tout en affrontant les mêmes dangers et privations que leurs camarades masculins.
Parmi elles, une figure féminine se distingue : celle de la mère de Tran To Nga, une femme courageuse à la conviction inébranlable. En transmettant à sa fille l’esprit de résistance, elle incarne la détermination et le courage des femmes vietnamiennes, dont le rôle a été fondamental dans la lutte pour l’indépendance. Cet hommage à la figure maternelle souligne l’importance de la transmission de la mémoire et des luttes aux générations futures, rappelant que le pouvoir de cette transmission réside dans son potentiel à inspirer le changement.

Crédit photo : Pauline Le Goff
Sur scène, Angelica-Kiyomi évoque la mère de Tran To Nga avec une émotion palpable. Sans l’incarner directement, elle lui donne la réplique et fait résonner sa voix, rappelant l’influence profonde de cette femme sur la vie de Tran To Nga. Par ses mots et son interprétation sincère, Angelica transmet la dignité, le courage et l’amour inconditionnel d’une mère qui a façonné l’esprit de résistance de sa fille. Cet hommage résonne comme un appel à reconnaître toutes les femmes vietnamiennes dont le rôle fondamental mérite d’être inscrit dans la mémoire collective.
Nos Corps Empoisonnés n’est pas qu’une pièce de théâtre : c’est un acte féministe puissant. De l’écriture à la mise en scène, chaque étape porte un engagement féministe affirmé. L’œuvre explore la mémoire collective, l’écologie féministe et décoloniale, ainsi que la résilience face à l’adversité. Plus qu’un hommage, elle exhorte à se souvenir et à poursuivre la lutte pour la justice, dénonçant les liens destructeurs entre capitalisme, colonialisme et impérialisme. Le combat contre l’Agent orange résonne comme un écho des luttes contre les écocides et les ravages du colonialisme, au Vietnam et ailleurs. Suivez ce combat historique sur le site du collectif Vietnam Dioxine, soutien infaillible de Tran To Nga.
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