Lisanga Bana Mboka : pour la visibilisation du génocide en République Démocratique du Congo

Crédit photo: ©Lisangabanamboka

I 26.06.24 I Mona Koyamba

Depuis près de 30 ans, l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), en particulier la région du Kivu, est le théâtre d’un massacre sans précédent qui a causé des millions de morts et de déplacé·e·s. Face à ce génocide invisibilisé par les médias, c’est la société civile qui prend le relais à l’image de l’association Lisanga Bana Mboka, dont nous a parlé Sébastien Mheneryck Lalu, dit Mheneryck, fondateur du collectif.

Depuis près de 30 ans, l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), en particulier la région du Kivu, est le théâtre d’un massacre sans précédent qui a causé des millions de morts et de déplacé·e·s. Face à ce génocide invisibilisé par les médias, c’est la société civile qui prend le relais à l’image de l’association Lisanga Bana Mboka, dont nous a parlé Sébastien Mheneryck Lalu, dit Mheneryck, fondateur du collectif.

La naissance d’un rassemblement

Tout a commencé par une vidéo Tiktok à 3 millions de vues et l’expression d’un ras-le-bol face à “l’hypocrisie” et la mise sous silence des différents conflits et massacres en Afrique, notamment au Soudan ou en RDC. C’est en voyant le nombre important de jeunes qui souhaitaient de plus en plus se renseigner sur ces conflits, et notamment sur ce qui se passe au Congo Kinshasa, que Mheneryck a décidé avec un groupe de cousins de fonder un collectif fin 2023. Le collectif prend rapidement le nom “Lisanga Bana Mboka”, qui signifie “rassemblement d’enfants du pays”,  l’objectif étant d’alerter la jeunesse de la diaspora sur la situation en RDC et ailleurs en Afrique. 

En Afrique, au Soudan, il y a beaucoup de choses qui se passent et personne ne s’élève pour dénoncer. Au Congo, il y a un génocide et personne s’élève pour dénoncer.

Mheneryck, président et fondateur de Lisanga Bana Mboka

La création de Lisanga Bana Mboka s’inscrit dans la lignée du parcours militant de Mheneryck, entrepreneur et activiste aguerri. Président depuis 7 ans de l’association Espoir Aide & Actions, collectif social et solidaire intervenant auprès des publics défavorisés et en difficultés en France, Mheneryck milite pour la cause congolaise depuis 2009. Lui-même enfant du pays, son destin est lié à la RDC. Enfant, il a vécu les violences du coup d’État de 1997, véritable traumatisme qui l’a poussé à émigrer en France. Il s’est rendu en RDC en 2015, et essaye depuis d’y voyager régulièrement. Là-bas, en plus de maintenir les liens avec sa famille sur place, il mène des actions humanitaires et solidaires auprès des kulunas (des jeunes délinquants armés sévissant principalement à Kinshasa) et des orphelinats, mettant également en place des dispositifs d’insertion professionnelle. Ce soucis de la dignité humaine, cher à Mheneryck,  se retrouve ainsi au coeur des actions de Lisanga Bana Mboka. 

À ses débuts, les marches du collectif réunissaient peu de participants. Pour autant Mheneryck ne voyait pas ça comme un échec, car il constatait que pas mal de groupes de  jeunes étaient tout de même présents. S’appuyant sur leur soutien et leurs compétences (juridiques, digitales), Lisanga Bana Mboka s’est peu à peu structuré, avec des actions qui ont progressivement gagné en visibilité. La marche du 18 novembre 2023, qui a réuni des milliers de manifestants ainsi que de nombreux artistes, puis la marche du 10 février qui a réuni près de 15 000 personnes selon les chiffres de la préfecture de Paris, témoignent du succès grandissant de ce travail de fond mené par le collectif. Un collectif porté par une jeunesse issue principalement de la diaspora, mais désireuse de faire bouger les lignes à leur échelle.

Crédit Photo : Mheneryck Lalu – Linkedin

Une grande partie, c’est des jeunes de moins de 25 ans qui répondent présents, qui relayent l’information, qui sont là au quotidien.

Mheneryck, président et fondateur de Lisanga Bana Mboka

Crédit photo: @ekilaentertainment

Entre sensibilisation et action humanitaire

Lisanga Bana Mboka c’est donc le “rassemblement d’enfants du pays”, d’une diaspora révoltée qui tente de mettre la lumière sur une catastrophe humanitaire qui peine encore à être présente dans le paysage médiatique. 

Et pour ça, rien de mieux que les réseaux sociaux, qui sont devenus aujourd’hui des outils d’information stratégiques. En publiant différents posts informatifs, des communiqués, des cagnottes ou encore des suggestions de livres sur le conflit, Lisanga Bana Mboka permet à ses plus de 8 900 abonnés sur Instagram, ainsi qu’aux autres internautes, de se renseigner sur la situation actuelle à l’Est du Kivu, et d’apporter un soutien financier quand iels le peuvent. C’est également via ces plateformes que le collectif informe sur les marches qu’il organise à Paris. Se faisant, il participe à la médiatisation croissante de ce génocide, aux côtés d’artistes comme Ninho, Franglish, Keblack ou encore Kalash Criminel.

De base on ne parlait pas du tout de ce qui se passe au Congo. C’était un silence inimaginable. [Aujourd’hui] la médiatisation de ce qui se passe au Congo a pris une telle ampleur que personne ne pourra dire ‘nan je n’ai pas été informé sur ce qui s’est passé’ .

Mheneryck, président et fondateur de Lisanga Bana Mboka

Crédit photo: Éditions L’Artilleur

Lisanga Bana Mboka n’agit pas seul pour autant. Au contraire, le collectif collabore avec d’autres associations congolaises comme Congo Na Paris, Trait d’Union Congolais ou l’Union Mayele. L’association est aussi régulièrement en contact avec l’entraineur et les joueurs de la sélection congolaise, qui ont profité de la dernière CAN pour mettre la lumière sur le génocide en cours dans leur pays. Dans le sillage de sa volonté de sensibilisation et d’éducation, Lisanga Bana Mboka est également en contact avec Charles Onana, historien auteur du livre “Holocauste au Congo – L’Omerta de la communauté internationale” (2023), un travail sourcé relatant en détails l’histoire de ce génocide. Un ouvrage d’une grande importance pour la communauté congolaise et au-delà, qui vient compléter les récits des experts en géopolitique, ainsi que celui des parents et des grands-parents. 

Par ailleurs, Lisanga Bana Mboka n’opère pas que sur le sol français. Le collectif se coordonne aussi avec d’autres associations en Allemagne, en Belgique, en Irlande, ou encore aux États-Unis. L’objectif : faire front commun pour que ce génocide devienne une préoccupation mondiale. Une grande marche avait par exemple été organisée à Bruxelles le samedi 9 décembre 2023, réunissant près de 1500  personnes, et notamment beaucoup de jeunes. Un autre Lisanga Bana Mboka a même été fondé au Canada, par Jennifer, une des collègues du collectif parisien. En parallèle, Lisanga Bana Mboka a aussi mis en place un partenariat avec l’association « Bel Avenir »  pour venir en aide aux habitants du camp de réfugiés de Kanyarutshinya.

Notre devise c’est d’être une seule personne pour mieux revendiquer ce qu’on est en train de faire [et] avoir plus de poids.

Mhenercyk, président et fondateur de Lisanga Bana Mboka

En plus de ses marches, le collectif développe ainsi d’autres projets humanitaires. Un voyage à Goma (RDC) était par exemple prévu en avril,  mais a finalement dû être reporté en raison de la trop grande insécurité qui règne dans cette ville récemment bombardée. Ce report n’a cependant pas marqué un coup d’arrêt à Lisanga Bana Mboka. Au contraire, il a poussé l’association à poursuivre ses actions. Une nouvelle marche est d’ores et déjà prévue le 29 juin à Paris. D’autres projets sont également en discussion comme la tenue de galas, ou de tournois de foot caritatifs, comme celui organisé le 20 avril. Car il s’agit autant de mettre la lumière que de venir concrètement en aides aux victimes de conflit, en apportant un soutien financier et matériel pour la construction de camps de réfugiés, et en mettant en place un système de parrainage.

Autant d’initiatives pour essayer d’agir à leur échelle, celle de la diaspora, et ce de manière concrète. Car toute action, en apparence minime, peut agir contre un génocide. Mise une par une, elles peuvent permettre à la mobilisation de prendre de l’ampleur, et aux victimes, de ne pas être déshumanisées. 

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