Les sangs rares : un enjeu d’équité face au traitement de certaines maladies
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I 11.01.23 I CHIGUECKY NDENGILA
En 2021, l’Établissement français du sang (EFS) lançait la première semaine de sensibilisation aux sangs rares. Son objectif ? Sensibiliser les Français·es sur la nécessité que la diversité des donneur·euses de sang reflète la diversité de la population française, condition indispensable pour que chaque patient·e puisse être soigné·e avec le produit sanguin le plus adapté. Or, si n’importe qui peut être porteur d’un sang dit rare, ce sont les personnes originaires d’Afrique, de l’Océan Indien et des Antilles qui ont le plus de probabilité de posséder un groupe sanguin rare. À l’enjeu médical s’ajoute donc un enjeu d’accessibilité aux soins et d’équité face aux traitements de certaines maladies comme la drépanocytose.
Qu’est-ce que le sang rare ?
Une idée reçue sur les groupes sanguins est qu’il y en aurait que 4, à savoir les groupes A, B, O et AB. Spoiler alert : c’est faux. Quand on regarde une carte de groupes sanguins, on y trouve effectivement les principaux marqueurs de groupes sanguins recherchés chez tout le monde comme le A, le B, le O et le Rhésus (positif ou négatif). Ces marqueurs sont les plus recherchés parce que les anticorps qui y sont associés sont les plus dangereux comme le souligne le Dr Thierry Peyrard, directeur du département national de référence en immuno-hématologie et sang rare (Etablissement français du sang Île-de-France). Ces quelques marqueurs représentent en réalité une poignée de marqueurs de groupes sanguins parmi plusieurs centaines d’autres (près de 400 au total).
Un groupe sanguin est considéré comme rare dès lors qu’il est présent chez moins de 4 individus sur 1000. “Si, par exemple, vous avez un marqueur négatif alors que quasiment toute la population est positive, cela signifie qu’en cas de transfusion, on va apporter un plus à un moins. Le corps peut alors réagir face au marqueur qu’il ne connaît pas et produire l’anticorps correspondant, ce qui complique la transfusion” explique le Dr Peyrard.
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Le sang rare, une notion relative
L’Afrique équatoriale est considérée comme étant le berceau de l’humanité. C’est là où est apparu l’homme moderne au sens anthropologique du terme. Il y a plus d’une dizaine de milliers d’années, des mouvements de population depuis l’Afrique ont peuplé les autres continents. Les personnes qui sont restées en Afrique, en particulier en Afrique subsaharienne, sont les personnes les plus anciennes au niveau génétique. C’est donc la région où il y a la plus grande diversité génétique. Aux Antilles, il existe également un certain nombre de groupes sanguins rares qu’on ne retrouve pas en Europe, car même s’il y a eu migration de descendant·es Africain·es vers les Antilles suite à la traite négrière, cette migration forcée est relativement récente à l’échelle de l’histoire de l’humanité.
Le sang rare et la drépanocytose
La maladie génétique la plus fréquente en France est la drépanocytose. C’est une maladie génétique héréditaire extrêmement douloureuse qui touche les globules rouges. On compte en France entre 20 000 et 30 000 personnes drépanocytaires. Chez les patient.e.s drépanocytaires d’origine ou d’ancestralité africaine, on trouve en particulier un groupe sanguin rare dénommé U négatif (U-), correspondant à l’absence du marqueur U à la surface des globules rouges. Ce groupe sanguin U- est très rarement rencontré chez les donneur·seuses d’origine européenne alors que dans les populations d’origine africaine, notamment originaires des pays proches de l’équateur, ce groupe sanguin peut se retrouver chez 15 à 35% de la population.
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Pourquoi ce groupe sanguin U- est-il si fréquent parmi les afrodescendant·es ?
Parce que le groupe U- représente un des facteurs de protection contre la malaria sous sa forme la plus grave, maladie que l’on retrouve particulièrement en Afrique subsaharienne.
La notion de sang rare est une notion relative qui dépend de l’endroit où l’on se trouve. Si on est en Afrique équatoriale, trouver du sang U- n’est pas un problème. En revanche, dans ces pays, on a moins de chance de trouver des politiques de recherche de sang rare et les moyens nécessaires pour organiser les dons. Si on se trouve en France, on aura les bonnes conditions pour dépister ces groupes et organiser les dons, mais plus de difficultés à trouver des personnes compatibles.
Cette question illustre l’aspect multidimensionnel des conséquences de la migration qu’elle soit forcée ou choisie. Des personnes qui faisaient partie de la majorité, de la “norme”, se retrouvent, de par la migration, membre d’une minorité. Et cette appartenance à une minorité s’accompagne d’inégalités. Si les inégalités socio-économiques que subissent les minorités sont bel et bien connues et plus ou moins reconnues, celles qui touchent la santé et qui sont liées à l’héritage génétique le sont beaucoup moins.
Le sang rare, un sujet à démocratiser dans les communautés afros
Il est vraiment important qu’il y ait une connaissance et une sensibilisation sur l’existence des sangs rares et de la diversité génétique, notamment pour pouvoir bien prendre en charge les patient.es drépanocytaires. La France détient la banque de sang rare la plus riche et la plus diversifiée au monde (près de 8000 poches de sang congelées à -80°C). Jusqu’à il y a quelques années, si on prenait une population de donneur·euses français·es au hasard, il y avait une surreprésentation significative de donneur·euses d’origine européenne par rapport aux donneur·euses d’origine africaine. Or, le besoin en sang rare était et reste important en France dû à la présence d’une grande diaspora africaine et caribéenne. La situation tend à changer comme l’explique le Dr Thierry Peyrard qui dirige la Banque nationale de sang de phénotype rare (BNSPR) : “Il y a une réelle dynamique et prise de conscience des populations d’ancestralité africaine, en particulier chez les jeunes qui donnent beaucoup plus qu’auparavant.”
S’il existe des tensions en approvisionnement de sang rare, l’Établissement français du sang se donne toujours les moyens d’apporter le sang nécessaire aux patient·es. “Il y a une vraie solidarité nationale” souligne le Dr Peyrard. Il n’en reste pas moins indispensable de vulgariser et démocratiser le don de sang, notamment dans les communautés afrodescendantes, premières touchées par la rareté de certains groupes sanguins et par la drépanocytose. Le Dr Peyrard reste optimiste, “beaucoup de gens ne comprenaient pas les enjeux autour du sang rare, mais plusieurs médias ont pris à cœur ce sujet et on observe une dynamique très positive dans les populations d’origine africaine et antillaise par rapport au don de sang. C’est une richesse qu’il faut encourager.”
Pour en savoir plus sur le sang rare, rdv sur le site de l’EFS. Et pour comprendre les enjeux et l’impact du don de sang, on vous invite à (re)voir notre épisode spécial sur le sang rare.