Les Arabengers : raconter, penser et célébrer nos cultures
Crédit photo: Maude Girard – Khoroteuf Arabengers
I 07.10.23 I Z.
Les Arabengers, c’est l’équipe de choc aux manettes du mémorable événement “Raconter l’Algérie” qui a retourné la Flèche d’Or en juillet 2022 à l’occasion de la commémoration de l’indépendance algérienne. Après la soirée “Khoroteuf” célébrant les musiques populaires arabophones/berbérophones, le collectif a annoncé l’événement “Raconter le Maroc” pour le 14 octobre prochain au Dock B de Pantin. On les a rencontrées pour parler de la programmation du 14 octobre, mais aussi de culture populaire, de la nécessité de l’enjaillement, de la vie culturelle du monde arabe et du double tranchant de l’engouement autour des cultures arabes, et de l’importance de prendre en charge nos récits.
Les Arabengers, c’est l’équipe de choc aux manettes du mémorable événement “Raconter l’Algérie” qui a retourné la Flèche d’Or en juillet 2022 à l’occasion de la commémoration de l’indépendance algérienne. Après la soirée “Khoroteuf” célébrant les musiques populaires arabophones/berbérophones, le collectif a annoncé l’événement “Raconter le Maroc” pour le 14 octobre prochain au Dock B de Pantin.
On les a rencontrées pour parler de la programmation du 14 octobre, mais aussi de culture populaire, de la nécessité de l’enjaillement, de la vie culturelle du monde arabe et du double tranchant de l’engouement autour des cultures arabes, et de l’importance de prendre en charge nos récits.
La formation des Arabengers : la force du collectif
Les Arabengers se sont formées en 2022 : ce collectif de huit femmes travaillant dans le domaine de la culture rassemble des compétences et des talents divers et complémentaires, qui dialoguent autour de la vie culturelle et intellectuelle d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
On y retrouve Ouafae Mameche, journaliste musicale spécialiste de rap et co-fondatrice des éditions Faces Cachées, Lina Soualem, comédienne et réalisatrice de désormais deux longs-métrages documentaires, Hajer Ben Boubaker, chercheuse indépendante et documentariste sonore, Nadia Bouchenni journaliste et co-fondatrice du magazine culturel Dialna, Donia Ismail, journaliste et cheffe du pôle réseaux sociaux chez Slate et aux manettes du podcast Allô 213, Farah Khodja juriste et à l’origine du projet Récits d’Algérie, et Shereen Dbouk, co-fondatrice du studio C-O-Z-Y et scénariste.
Une partie du collectif à la Flèche d’Or pour “Raconter l’Algérie” en juillet 2022 – crédits : Arabengers
Si certaines d’entre elles se connaissent déjà ou travaillent parfois ensemble, leur collaboration à l’occasion de l’organisation de l’événement “Raconter l’Algérie” est un tournant : “Ça nous a permis de toutes nous réunir, nous rassembler. On est dans la même industrie mais on couvre des thématiques très différentes. C’était très organique la manière dont ça s’est fait. Ce que “Raconter l’Algérie” a créé, ça nous a dépassé.” Elles soulignent la force du collectif, qui leur donne plus d’ambition, et leur permet de “rêver plus grand”.
Nadia Bouchenni résume l’esprit des événements qu’organise le collectif, en proposant des tables rondes et conférences suivies d’une programmation musicale et festive : “La philosophie des événements du collectif c’est : oui la réflexion intellectuelle et culturelle c’est notre métier, mais organiser la célébration de soi, la joie, le bonheur de se sentir dans un endroit où on est bien, ça apporte encore plus.”
Une réponse à un manque d’espace dans les prises de parole autour de l’Algérie
Une impulsion née du constat d’un manque d’espace d’expression pour les Algérien·nes et descendant·es d’Algérien·nes dans le traitement de la commémoration des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, en 2022. Alors même que la diaspora algérienne est la plus grande diaspora de France, comme le rappelle la journaliste Donia Ismail, qui constate que la commémoration de l’indépendance en 2022 a pu être mal vécue par les personnes de la diaspora algérienne. Les Arabengers pensent donc un événement donnant la place aux paroles manquantes dans le traitement culturel et médiatique de cette année symbolique. De là est née la programmation des tables rondes proposées lors de l’après-midi de “Raconter l’Algérie” : “La partie réflexion vient naturellement parce que dans nos travaux, on adresse ça, on questionne ça.” La programmation musicale a suivi tout aussi naturellement : “On n’est pas que tristesse, que réflexions, que tourmenté·es…On peut aussi se célébrer et se faire kiffer. Notre histoire n’est pas faite que de malheurs, même s’ il faut parler de ça car en France, on aime bien faire comme s’il n’y avait pas eu d’histoire coloniale. Mais nos histoires sont aussi hyper riches. Et on veut aussi ancrer nos événements dans l’air du temps.”
Naissance du collectif : le succès de “Raconter l’Algérie”
Et c’est une réussite, puisque “Raconter l’Algérie” fait salle pleine à la Flèche d’Or, avec une queue d’une à deux heures dès l’après-midi et un accès impossible à la soirée karaoké et aux concerts de TIF et Médine pour les retardataires… le tout sans billetterie et avec une annonce de l’événement à deux semaines de la date.
“Raconter l’Algérie” à la Flèche d’Or le 02/07/22 – crédits : Arabengers
Une réception et un public au rendez-vous, au delà de la seule diaspora algérienne
Un succès qui les dépasse pour ce qu’elles avaient conçu comme un événement en “one shot”, mais qu’elles comprennent comme l’expression d’un besoin : celui d’avoir davantage de moments et d’espaces de célébration des cultures populaires et des diasporas. Elles racontent la réception pendant et après l’événement : “Le lendemain matin on a reçu des messages demandant déjà “à quand la prochaine soirée ?” Deux semaines après, on en recevait encore, donc on a décidé de faire quelque chose de plus pérenne”.
Au niveau du public de “Raconter l’Algérie”, les Algérien·nes au étaient au rendez-vous, mais pas seulement : “On s’est rendu compte que toutes les diasporas viennent. Il y a des spécificités au sein même de ces diasporas, entre ces diasporas, mais finalement le vécu reste commun. Les musiques nous transcendent tous·tes. Et pour les réflexions et les tables rondes, il faut juste être curieux·ses. On a vu que dans les personnes qui sont intéressées par nos événements, il y a de tout.”
“On a le même vécu dans ce pays, on vit la même chose, on subit le racisme, le fait de ne pas connaître notre histoire, le besoin de se rattacher à la culture de nos pays. Ce besoin-là fait que ces événements ont une importance”.
Arabengers
C’est un public représentatif des différentes diasporas ayant une culture populaire en commun, qui n’est pas si souvent mise à l’honneur : “Entre nous déjà, on a des origines différentes mais on s’ambiance sur les mêmes choses, et on consomme les musiques d’autres communautés.” Quant à l’intérêt pour les réflexions proposées par les tables rondes, il révèle un besoin également partagé de connaître et partager nos histoires : “On a le même vécu dans ce pays, on vit la même chose, on subit le racisme, le fait de ne pas connaître notre histoire, le besoin de se rattacher à la culture de nos pays. Ce besoin-là fait que ces événements ont une importance”.
La suite : des idées, des réflexions, de l’enjaillement
Dans un collectif qui rassemble autant d’énergies, les idées fusent. Ça peut partir d’une blague, comme pour “Khoroteuf” : “On s’est dit la vie est trop calme, venez on fait une soirée ?”, mais le flot d’idées et de projets est surtout nourri par l’effervescence culturelle du monde arabe et de ses diasporas : ”On a une diaspora qui produit des choses incroyables et qui est riche : on a tellement de choses à raconter.”
Programmation musicale du 14 octobre 2023 – crédits : instagram Arabengers
Raconter les cultures arabes aujourd’hui : proposer un regard actuel sur la scène culturelle issue du monde arabe et des diasporas
Ces derniers temps, on assiste à une multiplication de propositions culturelles autour du monde arabe, notamment dans la mise à l’honneur de son patrimoine musical. Un patrimoine riche et important, mais qui laisse moins de place pour mettre en lumière la vie culturelle actuelle d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, comme le rappelle Donia Ismail (pourtant grande fan de Oum Kalthoum, on souligne) : “On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé depuis les soirées chaâbi, le raï des années 80-90, la pop mainstream libanaise et égyptienne… Même si c’est un patrimoine à côté duquel on ne peut pas passer.” Mais elle souligne les limites de la nostalgie ainsi entretenue : “Quand tu es dans une diaspora, tu te raccroches à tes souvenirs du passé, tu es dans une écoute du passé. Il ne faut pas non plus qu’on reste dans l’immobilisme : c’est une région excessivement jeune qui bouge énormément”.
Cette volonté de mettre à l’honneur le dynamisme culturel et intellectuel du monde arabe et des diasporas se retrouve dans la programmation des événements proposés par le collectif. Pour “Raconter le Maroc”, les tables rondes programmées tout au long de l’après-midi réunissent ainsi des spécialistes et acteur·ices travaillant autant depuis la France que le Maroc, autour de discussions traitant de l’histoire des luttes ouvrières marocaines en France, du rap et du football au Maroc, et du Maroc en images, à travers les films et la photographie. Une programmation et des intervenant·es à l’image des liens multiples qui forment une scène culturelle dont les influences dépassent les frontières, surtout à l’ère du numérique.
crédits : Arabengers
Une vie culturelle et intellectuelle qui transcende les frontières
Si Nadia Bouchenni estime que les réseaux sociaux ont participé à diffuser les productions culturelles en dehors des frontières et ont contribué à davantage d’échanges entre la France et le Maroc, et plus globalement entre pays d’origine et diasporas, elle souligne que c’est aussi le résultat de circulations qui n’ont jamais réellement cessé : “Il y a des vagues d’immgiration qui sont constantes. Nous on est issues d’une certaine vague d’immigration, mais l’immigration a continué, elle a changé : aujourd’hui on trouve des jeunes qui viennent étudier mais font aussi de la photo, de la musique…. Donc ça apporte autre chose aussi. Et dans le cas du Maroc, les échanges n’ont jamais vraiment cessé entre les gens. Les enfants d’immigré·es continuent d’aller au Maroc pour les vacances, certain·es sont allé·es travailler là-bas… donc ces échanges-là nourrissent les réflexions”.
“Raconter le Maroc” après le séisme du 8 septembre
Le séisme qui a frappé le centre du Maroc la nuit du 8 au 9 septembre dernier a bien évidemment touché le collectif, certaines ayant des proches dans les régions concernées, et a plus globalement donné une dimension nouvelle à l’organisation de “Raconter le Maroc”. Parmi les stands présents le 14 octobre prochain, on retrouvera donc une association marocaine présente pour informer sur la situation et donner la possibilité de contribuer directement auprès d’une association de terrain : “On ne peut pas faire un événement sur le Maroc sans inclure cela. Ce n’est pas notre travail de récolter des fonds, mais on peut faire quelque chose. Donc on va proposer un stand éducatif pour comprendre ce qu’il s’est passé au Maroc, le contexte des régions touchées, l’importance des dons sur le long terme, le tout géré par une association basée au Maroc et connaissant les besoins sur place, sans interférence avec Arabengers.”
Quant au traitement de l’actualité liée au séisme et l’analyse des rapports France-Maroc qui a pu être faite médiatiquement, Nadia Bouchenni et Donia Ismail, toutes deux journalistes, ne sont pas surprises. Une surenchère en temps de malheurs qui contraste avec le traitement médiatique de l’épopée marocaine à la dernière coupe du monde :
“C’était soit de l’indifférence évidente de notre bonheur et notre joie, soit des débats sur les “risques de casse” ou sur “est-ce que les franco-marocains sont vraiment français ?”. Et là ça parle de nous quand ça va mal”.
Arabengers
La nécessité de prendre en charge nos histoires
Une actualité qui ne fait que confirmer la nécessité de pouvoir prendre en charge nos histoires : “C’est la raison pour laquelle on fait tout ça : on se dit “vous ne parlez pas de nous ou vous en parlez mal”. Ça montre à quel point on a besoin de ces événements-là.”
Donia Ismail constate : “C’est pour ça que beaucoup de personnes n’écoutent plus la télé etc, et on se crée nos bulles. Et avoir des bulles peut aussi être négatif : être dans un confort avec des personnes qui pensent comme nous, c’est négatif pour notre esprit critique. Mais en même temps c’est tellement violent qu’il faut choisir ses batailles.”
Il faut donc multiplier les récits, les propositions, et prendre en charge nos histoires. Un horizon encourageant : “La meilleure réponse c’est : venez on s’impose, il y a de la place pour tout le monde. Heureusement, on est dans une période en pleine effervescence : avant, ce qu’on fait n’était même pas envisageable. Et les plus jeunes seront encore beaucoup plus libres que nous.”
On retrouve les Arabengers le samedi 14 octobre 2023 au Dock B de Pantin pour l’événement “Raconter le Maroc” : l’entrée est libre pour l’après-midi de tables-rondes, et la billetterie est en ligne pour la soirée musicale. Pour retrouver la programmation complète et suivre l’actualité des Arabengers, rendez-vous sur l’instagram du collectif.
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