ENTRE VOUS ET MOI 

Le deuil loin des nôtres

Crédit photo: Carolina

I 23.06.24 I Aya Abouelleil

JLe deuil c’est le sentiment, la douleur qu’on éprouve à la mort de quelqu’un, d’un·e proche. Le terme même de « proche » nous vient de la « proximité », à savoir être près d’un point de vue spatial, géographique, physique. Aujourd’hui la définition de ce qu’est un être proche a évidemment évolué, elle s’est complexifiée pour désigner une personne proche par l’âme, le cœur, l’histoire commune au-delà de la proximité physique – proche malgré un possible éloignement. 

Néanmoins, c’est particulièrement dans les moments de deuils que l’étymologie initiale du terme « proche » me vient en tête. Immigré·es et enfants d’immigré·es on se retrouve souvent éloigné·es des nôtres. Eloignement qui implique différentes choses et nous contraint à être moins proches de notre famille élargie autant physiquement que mentalement, au fil du temps. Eloignement qui augmente la probabilité de voir des gens partir sans avoir été présent·e·s avant, au moment et après. 

Je suis arrivée en France à 10 ans. Mon grand-père paternel est décédé peu d’années après. Etant encore assez jeune à ce moment-là, je ne crois pas avoir pris entièrement conscience de ce qui se passait. Pas nécessairement accompagnée, je ne maîtrisais pas les sentiments qui régnaient, autant en moi que chez moi. Aujourd’hui je ne me souviens pas de tout (en plus d’avoir naturellement une mauvaise mémoire), uniquement de quelques sentiments, réflexions, sûrement les plus marquants et ceux à retenir. Je me souviens justement d’une très forte frustration, la frustration de ne pas avoir pu dire aurevoir, de ne pas avoir passé plus de temps avec lui. Une frustration de voir mon père vivre son deuil loin de son frère et de sa sœur et de ressentir de manière décuplée ce que moi je vivais. 

Les années passent sans que je considère ce décès comme un élément marquant dans ma vie. Je considérais ne pas réellement avoir connu de deuils. Aujourd’hui j’ai 25 ans, presque 26 ans et mon grand-père maternel est décédé il y’a un mois environ alors que je suis (à nouveau) en France et non en Egypte. Ressurgit un sentiment que j’avais déjà connu, ce mélange de tristesse et de frustration extrême. Je repense au décès de mon autre grand-père et je constate la similitude de la situation. A la frustration s’ajoute une culpabilité. Pourquoi j’ai laissé cette situation se reproduire ? Je connaissais les risques pourtant. Pleinement consciente cette fois je me prends ces sentiments de plein fouet, ainsi que ceux d’il y’a quelques années, je vis presque un double deuil. 

Moi qui pensais ne pas avoir été impacté par le premier décès, le deuxième choc m’a révélé bien des choses notamment la raison de ma peur des (non) au revoirs, quelque soit le contexte. J’ai souvent été hantée par la peur de perdre des gens, des relations quitte à parfois trop s’accrocher à ce qui ne me correspondait pas ou plus. 

En plus de regretter la personne partie, on regrette l’incapacité à aider et être présent·es pour celleux encore là. On les voit souffrir de loin pendant qu’on souffre de notre côté. Un mélange d’inutilité et de solitude prend le dessus. Une étude rapide des différentes cérémonies en lien avec le deuil partout dans le monde montre l’importance du collectif. Les cérémonies qu’elles soient solennelles ou festives se vivent ensemble, dans le soutien mutuel. On pourrait croire que notre deuil est plus « léger » puisqu’on n’est pas au cœur, au premier rang du combat, peut-être. Mais en tout cas notre deuil est plus solitaire et il devient fatiguant d’apprendre à faire face à de situations nouvelles, régulièrement, sans la présence de celleux qui nous ressemblent. 

J’ai eu beaucoup de mal à terminer ce texte, je ne savais pas comment ou quoi dire après avoir plongé dans la difficulté de ce que peut être le deuil pour les personnes immigrées. J’ai commencé mon texte en me concentrant sur la proximité physique dans la définition d’un·e proche et la frustration d’être loin. Mais poser ce texte a permis la maturation de mes sentiments et en prenant du recul je préfère me concentrer sur l’autre pan de la définition. Un·e proche est une personne qui nous est chère émotionnellement, avec qui les liens transcendent toute réalité matérielle ou proximité spatiale. Retourner ma veste sur le choix de la définition est peut-être lâche, mais ça m’est plus doux. Alors je n’étais certes pas présente lors du décès de mes grands-pères, mais cela n’enlève rien à notre lien, notre amour, notre proximité – de l’autre côté des cieux. 

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