La mise en lumière des figures noires au sein de l’art occidental à travers le prisme du sacré
An archeology of silence, (Mamadou Gueye), Kehinde Wiley, 2022, oil on canvas 131 7_8 x 300 inches
I 24.10.23 I Selena Dahajee
Le manque de représentations et donc d’identifications, peut être étudié à travers le prisme de l’histoire de l’art occidental. Un art dans lequel nous évoluons, que nous assimilons mais qui ne résonne pas nécessairement en nous. En effet, l’art permet de diffuser des imaginaires, en lien avec les idéologies de la société. Des iconographies relevant notamment du sacré et du pouvoir, à travers des figures blanches et masculines. Des représentations reflétant donc un ordre hégémonique présent depuis plusieurs siècles. L’idée est alors d’aborder la manière dont certain·e·s artistes contemporain·e·s s’emparent des codes esthétiques occidentaux, afin de mettre en valeur des figures occultées. Une manière de questionner la place de ces figures dans la société, en apportant leur propre récit artistique.
Le manque de représentations et donc d’identifications, peut être étudié à travers le prisme de l’histoire de l’art occidental. Un art dans lequel nous évoluons, que nous assimilons mais qui ne résonne pas nécessairement en nous. En effet, l’art permet de diffuser des imaginaires, en lien avec les idéologies de la société. Des iconographies relevant notamment du sacré et du pouvoir, à travers des figures blanches et masculines. Des représentations reflétant donc un ordre hégémonique présent depuis plusieurs siècles. L’idée est alors d’aborder la manière dont certain·e·s artistes contemporain·e·s s’emparent des codes esthétiques occidentaux, afin de mettre en valeur des figures occultées. Une manière de questionner la place de ces figures dans la société, en apportant leur propre récit artistique.
Rumors of War, Duke of Lerma, Kehinde Wiley
L’artiste Kehinde Wiley, à travers ses peintures et sculptures, participe à produire un impact culturel et politique sur la place des figures noires dans nos représentations. Spécialement connu pour avoir réalisé le portrait officiel du président Barack Obama en 2018; Kehinde Wiley a commencé à s’intéresser aux portraits en 2001, lorsque celui-ci aperçoit, dans les rues de Harlem, une photographie d’identité d’un jeune homme noir, tombée d’une voiture de police. Un portrait cadrant un visage à l’expression figée. L’artiste s’est alors penché sur les portraits d’antan de l’art occidental, représentant les individus appartenant aux classes dominantes. Des œuvres permettant de représenter et de valoriser le sujet de façon plurielle. Des portraits remplis de différences, contrastant avec l’austérité des images d’identités actuelles. À partir de cet instant, Kehinde Wiley s’est confronté à “un challenge intéressant”, comment intégrer de la vie dans ces portraits d’identités ? L’artiste a alors invité les habitant·e·s de Harlem à parcourir ses livres d’histoire de l’art et à observer ces portraits royaux et aristocratiques. Les habitant·e·s, devenu·e·s sujets, suggéreraient alors à l’artiste, la manière dont iels souhaitaient être représenté·e·s.
Lors du meurtre de George Flyod et du mouvement Black Lives Matter qui s’en est ensuivi, Kehinde Wiley se met à questionner la place du corps noir dans l’art. En parallèle, il s’intéresse à la manière dont les corps morts sont représentés, au sein des iconographies religieuses et à la façon dont le langage du sacré s’est développé. Sa série
An Archéologie of silence, tire son nom des écrits de Foucault sur le pouvoir. Elle évoque le silence des personnes qui ne sont plus là pour raconter leur histoire. “Ce que j’essaie de faire est de créer une représentation complète de ce que signifie d’être mis à nu, mis à plat ventre” (…) Il y a là une résistance, une reconnaissance du massacre et de la terrible histoire mais aussi une insistance à exister”. Au-delà d’exposer une scène dénonçant une crise politique, l’artiste souhaite mettre l’individu au cœur de l’œuvre. Celui-ci s’attache aux micro détails de ses sujets, les marques qu’ils portent, leurs coiffures, etc. Des marqueurs de leurs identités, de leurs goûts, au XXIe siècle. “C’est le désir d’être vu, d’être vivant dont parle l’œuvre (…) Le but de mon travail est d’être capable de parler à la population. Pas uniquement de créer une déclaration politique mais aussi de produire une déclaration plus poétique et spirituelle, des liens entre ces grandes valeurs historiques des œuvres européennes monumentales, et de ces figures noires monumentales qui nous entourent tous les jours”. Loin des récits relevant de l’exceptionnalisme, ses œuvres mettent en lumière l’existence de ces figures du quotidien.
Je veux que ma fille grandisse fière de ses boucles, de sa peau noire et qu’elle s’identifie comme une femme de couleur, une femme de valeur
Harmonia Rosales
La naissance d’Oshun, Harmonia Rosales
Kehinde Wiley a étudié et admiré ces chefs-d’œuvre de la peinture européenne. Ces représentations, éloignées de sa propre identité, l’ont donc poussé à créer un imaginaire lui permettant de “sentir une forme de présence personnelle”. « La plupart des œuvres que l’on voit dans les grands musées du monde représentent généralement des gens qui ne me ressemblent pas”. Ce constat a également été fait par l’artiste Harmonia Rosales. Fascinée depuis l’enfance par les représentations minutieuses des maîtres de la Renaissance. La hiérarchie blanche que renferment ces œuvres ne lui permettait pas de s’identifier à elles. L’artiste a entamé son travail à la suite d’une remarque de sa fille, relevant le fait qu’il n’existait pas dans l’art occidental, de femmes noires, représentant le pouvoir. « Je veux que ma fille grandisse fière de ses boucles, de sa peau noire et qu’elle s’identifie comme une femme de couleur, une femme de valeur.”
La création de Dieu, Harmonia Rosales
Si je peux toucher ne serait-ce qu’un petit groupe de personnes et leur donner les moyens d’agir grâce au pouvoir de l’art, alors j’aurai réussi à contribuer à changer notre façon de voir le monde
Harmonia Rosales
Le travail d’Harmonia Rosales s’est notamment fait connaître en 2017, à travers son œuvre La création de Dieu. Une peinture reprenant le chef-d’œuvre de Michel-Ange La création d’Adam, où tous les personnages sont remplacés par des femmes noires. “Je voulais prendre un tableau important, un tableau largement reconnu, qui nous conditionne inconsciemment ou consciemment, à voir les personnages blancs masculins comme puissants et autoritaires, et à en retourner le scénario.” Les sujets féminins noirs au sein du travail de l’artiste sont un moyen de promouvoir l’amour de soi. Une remise en question d’un idéal de beauté ethnocentré. Harmonia Rosales peint soigneusement les différentes teintes de ses personnages, au sein d’un décor luminescent. Ornés de feuilles d’or, l’artiste met littéralement en lumière ces femmes. Par ailleurs, son travail se caractérise par des récits hybridés, mêlant style de la renaissance européenne et religion Yorùbá. C’est notamment le cas de La naissance d’Oshun où l’artiste remanie La Naissance de Vénus de Botticelli afin de dépeindre un Orisha (esprits de la religion Yorùbá). Sa réécriture de l’histoire de l’art a bien entendu susciter le débat, ce à quoi elle répond : “Personne n’a demandé à un·e artiste blanc·he pourquoi celui-ci ne peignait que des blancs”, « Si je peux toucher ne serait-ce qu’un petit groupe de personnes et leur donner les moyens d’agir grâce au pouvoir de l’art, alors j’aurai réussi à contribuer à changer notre façon de voir le monde”, « Et si l’on considère que toute vie humaine est née en Afrique, avec le jardin d’Eden et tout le reste, il est tout à fait logique de dépeindre Dieu sous les traits d’une femme noire”.
Harmonia Rosales n’est pas la seule artiste à interroger les croyances et les enseignements de notre société afin de remettre en question les figures détentrices du pouvoir. Le photographe Samuel Fosso et sa série Black Pope, produite en 2017, explore la notion de la suprématie blanche à travers la figure du pape.
Crédit photo: Black Pope, Samuel Fosso, 2017
L’artiste se transforme et questionne les codes de la représentation en investissant la personnalité papale. Celui-ci se concentre sur les moindres détails afin de symboliser cette figure religieuse. Sa parure provient du tailleur officiel du pape Gammarelli. Ses autoportraits remettent en question les frontières sociales et culturelles. À travers Black Pope, Samuel Fosso explore les questions de pouvoir et d’invisibilisation. “Dans l’histoire de la papauté, il n’y a jamais eu de pape noir, alors qu’aujourd’hui le plus grand nombre de catholiques romain·e·s se trouve en Afrique ». Son récit prend alors la forme d’une interrogation : Et si le pape était africain ?
D’AUTRES ARTICLES QUI POURRAIENT VOUS PLAIRE
Nawel Ben Kraiem – De la marge à son centre
On a rencontré Nawel ben Kraiem, artiste, chanteuse, comédienne, poétesse franco-tunisienne aux sonorités et influences multiples…
Dahomey de Mati Diop : continuum colonial et réappropriation d’un héritage
Réalisé par Mati Diop, Dahomey retrace le voyage retour de 26 œuvres, exposées au sein du Musée du Quai Branly, sur leur terre de création et d’appartenance, le Bénin. Cette œuvre cinématographique documente ce retour au pays à travers la personnification de ces trésors royaux.
Les images : un outil de dénonciation au service de la lutte décoloniale ?
Dans quelle mesure les images jouent -elles un rôle essentiel dans la lutte et la représentation des corps colonisés ?