Immigration et marché du travail : des inégalités qui persistent

Crédit photo: Adeolu Eletu 

I 09.02.23 I CHIGUECKY NDENGILA

Dans le 47e épisode de notre webdocumentaire sur l’immigration, Maurice, arrivé en France du Congo en 1986 raconte  “Quand j’ai fini mes études d’économie, je me rendais compte qu’il n’y avait pas assez de débouchés pour nous, les étudiants étrangers. Parce que moi, quand j’ai fait économie financière, on venait nous chercher à la fac, mais on cherchait des étudiants français. Donc pour les étudiants étrangers, ce n’était pas possible de pénétrer le marché de l’emploi.” D’après le Ministère de l’Intérieur, en 2021, en France (hors Mayotte), une personne avec un emploi sur dix était immigrée et le taux de chômage parmi les immigré·es était deux fois plus élevé que celui des personnes non immigrées.

Dans le 47e épisode de notre webdocumentaire sur l’immigration, Maurice, arrivé en France du Congo en 1986 raconte  “Quand j’ai fini mes études d’économie, je me rendais compte qu’il n’y avait pas assez de débouchés pour nous, les étudiants étrangers. Parce que moi, quand j’ai fait économie financière, on venait nous chercher à la fac, mais on cherchait des étudiants français. Donc pour les étudiants étrangers, ce n’était pas possible de pénétrer le marché de l’emploi.” D’après le Ministère de l’Intérieur, en 2021, en France (hors Mayotte), une personne avec un emploi sur dix était immigrée et le taux de chômage parmi les immigré·es était deux fois plus élevé que celui des personnes non immigrées.

Immigration et marché du travail : un accès limité et des emplois plus exposés au chômage

Lorsqu’on n’est pas originaire d’un pays de l’Union Européenne, il y a certaines fonctions qui ne sont pas accessibles peu importe son niveau de qualification ou de motivation. En effet, en France, un emploi sur cinq est fermé aux personnes non ressortissantes de l’Union Européenne, ce qui représente pas moins de 5,4 millions d’emplois. La majorité de ces emplois (4,3 millions) sont des postes de la fonction publique. Une personne non ressortissante de l’UE ne peut, par exemple, être professeure des écoles. Il existe seulement deux corps de fonctionnaires ouverts à tous les étrangers : les médecins des hôpitaux et les enseignants-chercheurs des universités. Les limitations d’accès à certains postes pour les étranger·ères non européen·nes ne se limitent pas au secteur public. Certains métiers dans le secteur privé sont également inaccessible, essentiellement des professions médicales et juridiques (ex : notaire, infirmier·ères hors hôpitaux, diététicien·nes, buralistes).

Crédit photo: Joshua Hoehne

Pour certains métiers, les concours d’accès ne sont pas interdits aux étranger·ères non européen·nes, en revanche, il faut qu’iels possèdent  des diplômes français ou européens ou des équivalences. Or, le processus de reconnaissance d’un diplôme étranger est particulièrement long et dans certains cas impossible, ce qui peut être décourageant. Reste alors une voie prise par beaucoup de personnes étrangères ou immigrées, celle du déclassement qui participe à les enfermer dans des catégories socio-professionnelles plus précaires et plus exposées au chômage. Parmi les personnes occupant un emploi, celles qui ont une nationalité étrangère à l’Union européenne sont nettement plus souvent au chômage que les autres (21,3% contre 8,6% pour les ressortissant·es de l’UE selon une étude de l’INSEE de 2018). Le diplôme est moins protecteur face au chômage pour les personnes immigrées que pour les autres.

Des discriminations raciales et systémiques

Les inégalités sur le marché de l’emploi des personnes racisées passent également par des discriminations systémiques au faciès et au nom. Plusieurs études récentes ont ainsi montré que les Français·es d’origine nord-africaine font face à des difficultés plus importantes sur le marché du travail dès l’étape du screening des CV. D’après le rapport Discrimination à l’embauche despersonnes d’origine supposée maghrébine : quels enseignements d’une grande étude par testing ? de novembre 2021, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française.

Ces discriminations sont bel et bien raciales et systémiques. En 2019, pour la première fois, le conseil des prud’hommes de Paris reconnaît l’existence d’une discrimination raciale et systémique envers 25 travailleurs maliens travaillant dans le BTP.  Ces travailleurs étaient assignés à des tâches plus pénibles et dangereuses non en fonction de leurs compétences mais en fonction de leurs origines. 

Immigration et marché du travail : des inégalités qui persistent

Crédit photo: Pop and Zebra

Autre secteur d’activité particulièrement sujet aux discriminations raciales, le service à la personne. Le rapport La perception des discriminations dans l’emploi – étude des Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (15e baromètre  2022) met en évidence les discriminations subies par les personnes racisées travaillant dans ce secteur : “Le profil des travailleuses immigrées ou originaires des outre-mer est différent du reste de la population active du secteur : une partie d’entre elles est plus diplômée et exerçait parfois des emplois qualifiés avant de migrer. Lors de leur recrutement en tant qu’aide à domicile ou une fois dans leur emploi, les candidates subissent souvent des épreuves implicites de sélection auxquelles ne sont pas confrontées les candidates blanches : elles sont moins souvent à temps plein car soumises à une « période d’essai » implicite, on leur attribue davantage des personnes âgées jugées plus « difficiles », elles font l’objet d’une surveillance accrue et sont plus facilement licenciées que les collègues blanches. La complexité à faire renouveler une carte de séjour favorise également les situations de harcèlement, d’exploitation ou d’esclavage moderne des travailleuses domestiques sans papiers. Enfin, les salariées du secteur sont souvent confrontées à des propos ou préjugés racistes, que ce soit de la part du personnel de l’organisme ou des bénéficiaires des services”.

Les discriminations au travail ne sont pas des actes isolés mais revêtent bien un caractère systémique qui a des répercussions réelles sur la vie et la santé mentale des victimes. Dans le secteur du service à la personne, par exemple, près de 70 % des professionnelles du secteur reconnaissent avoir traversé une période où leur santé mentale s’est dégradée (tristesse, fatigue, dépression, peur, sentiment d’isolement) suite à un traitement discriminatoire.

Des inégalités qui persistent de générations en générations

Kimberly, la fille de Maurice témoigne : “ C’est plus à partir du collège qu’on sent, que là il y a une sélection qui se fait. On voit les potes qui sont réorientés vers du professionnel. On se dit bon, est-ce que ça nous pend au nez ou pas ? Et en fait, moi, ça finit par me pendre au nez. Pourtant, j’avais les capacités de continuer et je pense que si j’avais été une personne blanche, on m’aurait soit fait passer en première soit on m’aurait gardé. Là, on a estimé que c’était plus la peine et du coup, on m’a réorienté en pro.” Loin d’une réelle égalité des chances, de nombreuses descendant·es d’immigré·es voient leur champs des possibles limité dès le collège et le lycée. Réorienté·es dans des filières professionnelles peu valorisées, en dépit de facultés qui pourraient leur permettre de poursuivre un cursus général perçu comme le graal. 

Les inégalités en termes d’accès à l’emploi des étranger·es s’observent également auprès de leur descendance. En 2021, le taux d’emploi des personnes sans ascendance migratoire directe (ni immigré·e, ni descendant·e d’immigré·es) était de 69,1% vs 59,4% pour les descendant·es d’immigré·es. À quand une réelle égalité des chances ? 

Sources 

La Cimande / Observatoire des inégalités, août 2019

Ministère de l’Intérieur, Intégration des immigrés sur le marché du travail, mai 2021

La perception des discriminations dans l’emploi – étude des Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (15e baromètre  2022)

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