De l’écho à l’ancrage, musique vietnamienne
et diaspora

Crédit Photo : Pauline Le Goff

| 23.03.2025 | Eléonore et Jody

Tous les week-ends, rebelote : à la maison, dans le brouhaha général, de la musique vietnamienne résonne à fond dans les enceintes écoutée par nos parents. Le réveil est rude en cette période où les grasses matinées sont encore précieuses, mais la flûte et ces chants vibrants et mélancoliques emplissent l’air. C’est ainsi que nous, enfants de parents immigrés d’origine vietnamienne, avons d’abord été initiés à la musique vietnamienne.

Devenue une référence, l’émission Paris By Night, dont nos parents raffolent particulièrement, tourne en boucle et met en lumière les thèmes de la famille, de l’amour, de la guerre et du quê hương, les reliant ainsi à ce qu’ils ont fui lors des rendez-vous dominicaux. C’est par cet art qu’ils affirment leur attachement et leur enracinement à leur pays natal.

Mais au fil des années, cette musique s’est peu à peu perdue du côté des jeunes générations issues de la diaspora. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’artistes et d’auditeurs réinvente cette connexion musicale avec le Vietnam, à travers des sonorités plus actuelles.

Tous les week-ends, rebelote : à la maison, dans le brouhaha général, de la musique vietnamienne résonne à fond dans les enceintes écoutée par nos parents. Le réveil est rude en cette période où les grasses matinées sont encore précieuses, mais la flûte et ces chants vibrants et mélancoliques emplissent l’air. C’est ainsi que nous, enfants de parents immigrés d’origine vietnamienne, avons d’abord été initiés à la musique vietnamienne.

Devenue une référence, l’émission Paris By Night, dont nos parents raffolent particulièrement, tourne en boucle et met en lumière les thèmes de la famille, de l’amour, de la guerre et du quê hương, les reliant ainsi à ce qu’ils ont fui lors des rendez-vous dominicaux. C’est par cet art qu’ils affirment leur attachement et leur enracinement à leur pays natal.

Mais au fil des années, cette musique s’est peu à peu perdue du côté des jeunes générations issues de la diaspora. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’artistes et d’auditeurs réinvente cette connexion musicale avec le Vietnam, à travers des sonorités plus actuelles.

Le rapport avec la langue et la hiérarchisation des langues dans la culture occidentale

La musique vietnamienne qui a bercé l’enfance de nos parents et la nôtre est souvent empreinte d’une profonde nostalgie. Les paroles, poignantes, ont souvent fait couler des larmes chez nos grands-parents et nos parents, ravivant le souvenir des temps d’antan, du Vietnam d’autrefois. Pourtant, figée dans le passé, cette musique semblait de plus en plus éloignée de nos réalités, nous, Việt Kiều, qui avons grandi loin du pays.

Du côté des États-Unis, la communauté vietnamienne a su réinventer son héritage musical à travers des formats télévisés uniques et novateurs, tels que Paris By Night ou Asia. Ces programmes ont permis d’adapter la musique traditionnelle donnant naissance à une génération d’artistes comme Trish Thuy Trang, notre Lorie vietnamienne, Asia4, Cardin Nguyen, Andy Quach, Minh Tuyết, Quang Lê, Như Quỳnh et bien d’autres. En modernisant les sonorités, ils ont offert une passerelle entre les générations. Pourtant, en France, ces artistes n’ont pas bénéficié de la même visibilité que d’autres figures issues d’autres diasporas, et leur musique est restée plus confidentielle.

Plus grand·es, durant l’adolescence, l’écart s’est creusé entre nous et la musique vietnamienne. Elle ne trouvait plus sa place sur nos iPods ou lecteurs MP3, et encore moins dans nos moments de partage avec nos ami·es d’école. Sonorités trop éloignées, paroles dans une langue dont nous perdions la maîtrise…Ce qui nous reliait autrefois à cette culture héritée et partagée avec nos parents devenait presque une gêne voire un fardeau. Peu à peu, elle est devenue un repère intime, cantonné aux dimanches en famille ou aux trajets en voiture avec nos parents.

Angela-Kiyomi sur la scène de Nos Corps Empoisonnés

Crédit photo : Dzui fest

En parallèle, la question du racisme et des stéréotypes liés à notre culture se faisait sentir. Parler notre langue d’origine avec nos parents devenait une source de gêne, un poids que l’on préférait rejeter pour mieux s’intégrer et se fondre dans un environnement où l’on se sentait souvent exclu·e. C’est à ce moment-là qu’un écart s’est créé dans notre relation à la musique vietnamienne. Le racisme, étant systémique et omniprésent, nous poussait à rejeter ce lien invisible qui nous maintenait à nos origines : la langue à travers la musique.

Accessibilité & médiatisation des musiques viet : l’avant / L’après

Arrivé·es à un certain âge et à une maturité nouvelle, notre intérêt pour notre culture d’origine s’est intensifié, porté par un désir de réappropriation et de compréhension plus profonde de nos origines. Ce chemin de redécouverte nous a naturellement amené·es à nous tourner vers une musique plus actuelle, vibrante et jeune, qui incarne un Vietnam moderne et dynamique, tout en restant ancrée dans notre héritage. Aujourd’hui, la musique vietnamienne offre une double lecture de notre culture. D’un côté, elle nous relie à un Vietnam que nous observons à distance, en tant que spectateur·ices issu·es de la diaspora. Ce Vietnam, réinventé par de nouveaux artistes, nous fait découvrir une facette dynamique de notre héritage, un pont entre le passé et le présent, mais aussi un monde dont nous sommes physiquement éloigné·es. De l’autre, cette musique nous reconnecte à une langue que nous avons peu à peu perdue, à une culture dont la maîtrise nous échappe au fur et à mesure des années passées loin de la terre d’origine ou natale. Elle nous ramène à nos racines, nous offrant une nouvelle manière de nous réapproprier notre identité, tout en nous confrontant à l’éloignement, à la distorsion de notre rapport à ce qui était autrefois une partie intime de nous-mêmes. Prenant un nouveau tournant, beaucoup plus novateur, la musique s’imprègne de rythmes semblables à ce que nous pouvions écouter auparavant, et fondamentalement : la langue vietnamienne.

Pour certain·es, les retours au Vietnam ont facilité cette reconnexion, offrant une immersion directe dans une culture à la fois nouvelle et changeante, leur permettant ainsi de voir et d’entendre ce qu’ils s’étaient longtemps imaginé. Pour d’autres, n’ayant pas eu cette opportunité, c’est à travers Internet, les réseaux sociaux, ou les échanges avec d’autres membres de la diaspora, qu’ils redécouvrent la scène musicale vietnamienne et ses nouvelles voix.

Par ailleurs, cette évolution chez les artistes s’est aussi accompagnée d’un renouveau dans les styles musicaux. Plus ancrés dans la pop, le rap ou la Vina House et empruntant à de nouveaux mouvements plus mainstream, plus expérimentaux, et loin des airs traditionnels, ils s’imposent à l’internationale en collaborant avec des artistes d’autres pays. C’est le cas de l’artiste Vũ, qui a eu l’occasion de collaborer avec Lukas Graham, ou bien de Tùng M-TP avec le rappeur américain Snoop Dogg. Leur succès, bien que discret en France, témoigne d’une scène en plein essor qui dépasse désormais les frontières du pays.

Crédit photo : Dzui fest

Et ce qui participe notamment à l’émergence de ces nouveaux artistes, ce sont les médias alternatifs ou encore les collectifs mettant en avant la culture vietnamienne. À Paris, le festival Ici Vietnam organise plusieurs événements autour du cinéma, de la littérature, de la nourriture et de la musique pour mettre en lumière la création des artistes d’origine vietnamienne.

La nouvelle édition 2025 de Dzui Fest, qui se tiendra le samedi 29 mars 2025 à la Place, mettra à l’honneur une nouvelle génération d’artistes issus de la scène underground vietnamienne du rap, qui bousculent les codes, imposent leur signature sonore unique et façonnent l’avenir de la musique au Vietnam. Au programme, les artistes Larria (producteur et DJ), Liu Grace (rappeuse), Minh Lai (rappeur), Lil Wuyn (rappeur) et Nodey (producteur). Ces artistes émergents, qui se distinguent par la fraîcheur dans le rap, l’influence locale et l’éventail de genres, résonnent dans la jeunesse actuelle vietnamienne. Ils livreront des performances puissantes, mêlant influences locales et sonorités modernes. Par ce genre d’initiatives et d’événements, les jeunes issu.e.s de la diaspora vietnamienne ont une opportunité précieuse de se reconnecter à la culture musicale actuelle du Vietnam. Ces événements leur permettent de se remettre à la page, d’explorer les nouvelles sonorités qui réinventent cette tradition musicale, et de tisser un lien plus vivant avec le Vietnam d’aujourd’hui.

Le sentiment le plus fort lorsque l’on écoute de la musique vietnamienne, c’est la fierté que les artistes vietnamien.ne.s aient réussi à franchir les frontières de douze pays pour parvenir à nos oreilles. La fierté que cette musique se soit propagée à travers les algorithmes des réseaux sociaux et frayée une place dans nos playlists. C’est une profonde fierté de pouvoir imaginer qu’à l’autre bout du monde, d’autres jeunes écoutent également ces mêmes artistes, ces mêmes morceaux et, comme nous, y cherchent un écho à leur propre identité. Écouter les artistes vietnamien.ne.s d’aujourd’hui nous permet de créer un pont imaginaire entre la personne que nous sommes ici en France et la personne que nous aurions pu être là-bas.

Ainsi, en tant qu’enfant de parents immigrés, grandir avec la musique traditionnelle de ces derniers puis coupé.e.s de cette riche culture en grandissant, a profondément marqué notre rapport à notre culture, à notre personne et dans le lien qui nous rattache à notre pays d’origine. Avoir accès à la diversité musicale vietnamienne, sous toutes ses formes, nous a permis de combler un vide, de retrouver une pièce essentielle à notre construction identitaire. Plus qu’un simple plaisir auditif, la musique a une force salvatrice qui permet de toucher le cœur de chacun.e. Et lorsque l’on est en quête identitaire, cette ancre est fondamentale pour se construire et se reconstruire. Elle est ce pont invisible entre les époques et les distances, entre le Vietnam de nos parents et celui d’aujourd’hui, entre l’enfant que nous étions et la personne que nous devenons.

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