PARTIE II : DU COMMUNAUTARISME DANS NOS ASSIETTES, QUAND LA TABLE DEVIENT UN ENJEU POLITIQUE

Crédit photo : StefanVladimirov

I 12.07.21 I BISSAI MEDIA

Déconstruire l’approche nationaliste de la cuisine

Lors d’une émission en octobre 2020, Gérald Darmanin, déclare être « choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir un rayon de telle cuisine communautaire« . Selon lui, « c’est comme cela que commence le communautarisme ». Il ajoute notamment que les grandes entreprises ainsi que les distributeurs alimentaires devraient être « plus patriotes ». En quoi manger est une question politique ? Pourquoi les appartenances religieuses et les traditions culinaires seraient-elles responsables de séparatismes ? Que faut-il entendre par commerce « plus patriote » ? Pourquoi la diversité dans la cuisine n’aurait-elle pas sa place en France ? Et enfin, pourquoi opposer systématiquement patriotisme et diversité (même dans la cuisine) ?

Suite aux propos du Ministre de l’Intérieur, il semble important de revenir sur le rayonnement international de certains plats français d’origines étrangères. Et aussi rappeler que le plat préféré des Français n’est pas français. En 2016, le couscous se retrouve ainsi dans le top 10 des plats préférés des Français selon l’étude d’OpinionWay. 

La cuisine du monde d’un point de vue politique

L’exemple du couscous 

Crédit photo : Daniela

Classé patrimoine culturel immatériel à l’Unesco depuis décembre 2020, le couscous connaît de nombreuses variantes selon les régimes alimentaires mais aussi selon son lieu de préparation. On sera surpris d’apprendre que le couscous n’est pas une exclusivité maghrébine. On peut donc largement avancer que la cuisine est une question politique, où s’interroger sur l’origine d’un plat consiste aussi à déconstruire et désapprendre le discours officiel. En Italie, lors du dernier festival du Couscous en octobre 2019, ce n’est pas le couscous d’origine maghrébine qui l’emporte, mais bien le couscous sénégalais, connu sous le nom de thiéré. La corrélation entre l’origine supposée du couscous et les nombreuses formes d’appropriations culturelles qui en font un plat à la croisée de différentes cultures et communautés constitue une démarcation fortement gênante à l’endroit du discours de notre ministre de l’Intérieur dont la conception séparatiste de la cuisine ne fait que renforcer une vision de renfermement et de repli identitaire.

La cuisine comme symbole de l’antiracisme

On ne peut pas parler de cuisine sans soulever la question des influences à travers le temps et l’espace. C’est de cette manière qu’on peut déconstruire des discours figés et infondés sur ce qui est à priori étrangé. Finalement, manger n’est une question politique qu’en ce que la cuisine est essentiellement antiraciste et que les goûts culinaires de chacun ne peuvent qu’aider à lutter contre les préjugés racistes.

Pourquoi la table est-elle un enjeu politique ?

Lorsque l’on s’intéresse de plus près à la cuisine, on s’aperçoit qu’elle est aussi une question politique et culturelle qui a beaucoup à nous apprendre sur l’Histoire. S’interroger sur la provenance des aliments et des habitudes alimentaires dans différentes cultures permet de s’apercevoir que les influences sont nombreuses et ancestrales entre différents peuples. Par exemple, la tahina, cette pâte de sésames qui fait l’unanimité chez les végans, existe aussi bien dans la préparation de la fondue chinoise que dans celle des sandwichs falafels palestiniens, ou encore, dans de nombreux plats issus du Proche-Orient, comme la salade jordanienne à base de tomates et de tahina citronnée.

Crédit photo : Daria Nepriakhina

La table, un enjeu politique qui rassemble

A travers ces exemples, on voit bien que la cuisine est avant tout une question d’échanges culturels. Il s’agit d’une discipline particulièrement altruiste dans la mesure où elle nécessite de s’intéresser à l’Autre et de partager réciproquement des goûts, des parfums et des saveurs nouvelles. Face à la diplomatie évidente qui émane de la cuisine, pourquoi le ministre de l’Intérieur s’offusque de voir des rayons communautaires plutôt que d’encourager la dimension culturelle et savante de la cuisine ? La cuisine soulève des connaissances historiques qui ne font que démontrer le contraire d’une forme de séparatisme. Elle est un vecteur de paix et de diplomatie entre les pays. On parle d’ailleurs de dîners diplomatiques. C’est pour dire que manger est fondamentalement humaniste. La cuisine ne saurait être communautaire au sens péjoratif du terme. Elle est une ouverture sur les communautés ethniques du monde, et en ce sens la symbiose parfaite entre l’universalisme et le multiculturalisme n’en déplaise à certains.

La cuisine, un espace de domination sociale et économique ?

Cette approche humaniste et pacifique de la cuisine reste à nuancer. Certains aliments peuvent aussi être le produit d’une domination sociale et économique. On sait que la colonisation a permis d’enrichir l’assiette dite européenne avec la découverte de nombreux fruits et légumes comme l’ananas ou la pomme de terre. Cette domination prend aujourd’hui la forme d’une exploitation massive instituée par le système capitaliste. Par exemple, la consommation excessive d’avocats est un véritable désastre tant sur le plan humain qu’écologique. Les seules questions que devrait poser notre Ministre de l’Intérieur sur la manière dont les Français s’alimentent devraient plutôt porter sur les enjeux écologiques et sociaux du secteur agro-alimentaire en invitant les consommateurs à s’informer sur les risques que représentent certains produits pour la planète et les Droits Humains. Voilà de quoi devraient s’inquiéter les commerces se voulant plus “patriotes” .