« Black blanc beur » dans le sport: la fin d’un leurre

I 22.07.24 I Melissa Dehili & Laï

 “Black , blanc, beur” restera le slogan nous rappellant la France multiculturelle des années 90-2000. Il sera notamment fortement popularisé par la victoire de l’équipe de France à l’été 1998. On se souvient des musiques, des films ou publicités mettant en avant ce multiculturalisme. On retrouve notamment cela dans le sport avec des grandes figures faisant rayonner la France à l’international: Zinedine Zidane, Yannick Noah, Teddy Riner ou encore Kylian MBappé.  Si ce slogan se veut fédérateur, en réalité il dépolitise la question des discriminations et du racisme sous une fausse bienveillance.

“Black,blanc,beur” restera le slogan nous rappellant la France multiculturelle des années 90-2000. Il sera notamment fortement popularisé par la victoire de l’équipe de France à l’été 1998. On se souvient des musiques, des films ou publicités mettant en avant ce multiculturalisme. On retrouve notamment cela dans le sport avec des grandes figures faisant rayonner la France à l’international: Zinedine Zidane, Yannick Noah, Teddy Riner ou encore Kylian MBappé.  Si ce slogan se veut fédérateur, en réalité il dépolitise la question des discriminations et du racisme sous une fausse bienveillance.

L’identité française est-elle blanche ?

Crédit photo: Pierre Herman

Durant les Jeux Olympiques la France accueillera le monde entier. Dans un contexte post-élections assez tendu, la question de la représentation de la France dans la compétition se pose tout naturellement. Surtout après la polémique autour d’Aya Nakamura quelques mois auparavant. À l’aube des JO, la question de l’identité nationale a pu se poser assez rapidement. 

L’identité reste un sujet assez complexe, mêlant plusieurs disciplines et dont la définition est loin d’être figée et complète. Il est donc difficile de poser une identité sur un pays et une population. Mais pour les médias cela est assez clair, ce sont les racines judéo-chrétienne ou encore la blanchité. Tout cela alimente un débat xénophobe qui ne cesse d’entreouvrir la fenêtre d’Overton. Le terme “l’identité nationale” est introduit et mobilisé dans le débat public par la droite et l’extrême-droite selon les travaux de l’historien Gérard Noiriel. Bien souvent, cela est mis en parallèle avec l’immigration qui serait un danger pour cette identité.  À partir de ce postulat, nous pouvons constater que la mobilisation de ce terme est instrumentalisée à des fins discriminatoires et racistes. Pour représenter la France, être française ne suffit pas. Entre racisme et mépris de classe, les politiques et les médias ont pu alimenter les nombreuses polémiques à ce sujet.  Nous pouvons prendre l’exemple de celle concernant Aya Nakamura.

Le 29 février 2024, on apprend dans L’Express qu’Emmanuel Macron aurait proposé à Aya Nakamura de se produire lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques le 26 juillet prochain, qui accueillera par ailleurs d’autres artistes, et que celle-ci aurait accepté l’invitation. Une réinterprétation de L’Hymne à l’amour, d’Édith Piaf, aurait été évoquée lors de cet entretien. Bien qu’Aya Nakamura soit l’artiste francophone la plus streamée au monde en 2023 (6 milliards d’écoutes sur les plateformes de streaming), la proposition fait débat et déchaîne les passions pendant des semaines. En effet, plusieurs groupuscules (comme le collectif identitaire Les Natifs) et personnalités d’extrême droite, de Marion Maréchal à Eric Zemmour, rebondissent sur l’annonce pour exprimer leur mécontentement. La fachosphère ne manque pas de donner son avis, entraînant une vague de messages à caractère haineux sur les réseaux sociaux. « Elle ne représente pas la France », « Elle ne parle pas français », « Elle est vulgaire ». En vous épargnant les insultes racistes, voici un florilège des arguments mis en avant pour que la chanteuse ne se produise pas durant les JO. À la place, nous avons eux des propositions d’artistes d’un autre temps mais qui représenteraient mieux la France… Peut-être parce que blancs•hes ?

Capture d’écran de la presse internationale entre le 03/24 et 07/24

En parallèle, Aya Nakamura reçoit néanmoins de nombreux soutiens, aussi bien de la classe politique que du monde de la musique : Rachida Dati, Amélie Oudéa-Castera, Dadju, Isabelle Boulay… Cette polémique n’est cependant pas une première. En 1985, lors du concert « Touche pas à mon pote », organisé Place de la Concorde à Paris, Carte de Séjour (le groupe de rock mené par Rachid Taha) interprète le titre Douce France, de Charles Trenet. Chanson qui, rappelons-le, avait été écrite sous l’Occupation. Un geste à la symbolique forte que Rachid Taha n’hésite pas à souligner sur scène : « Il y en a qui grincent des dents, on touche au patrimoine hein. Mais c’est le nôtre aussi. Oui ou non ? Charles Trenet, on peut le chanter nous ? »

Le droit de représenter la France: Une francité sous condition

Crédit photo: Paulina Milde Jachowska

Si durant la période des JO, les questions raciales ne sont pas au premier plan, elles restent sous-jacentes à travers des thématiques comme l’exploitation d’ouvriers sans papier, le nettoyage social ou encore la mobilisation du 93 pour les épreuves.

Cet événement n’a pas échappé au racisme ambiant et bien entendu à la question du voile. Afin de perpétuer cette tradition, les sportives françaises portant le voile ne pourront pas participer aux épreuves. Alors qui sont les sportives françaises portant le voile ? En effectuant des recherches, il fut très compliqué d’en trouver. D’une part parce que les femmes ont très peu de visibilité dans le sport mais encore plus pour les femmes racisées. Et en portant le voile, elles font face à une barrière supplémentaire. De nombreux clubs excluent les femmes portant le voile en s’appuyant sur une décision du Conseil d’État. Malgré la lutte pour l’accès au sport à toutes menée par le collectif Les Hijabeuses, les portes ont du mal à s’ouvrir. De part leur exclusion de nombreuses activités sportives, les femmes portant le voile sont peu nombreuses dans les compétitions. Pour le moment il y a l’athlète Sounkama Sylla (4×400) qui est concernée par cette disposition. Elle sera bien sélectionnée et un compromis a pu être trouvé… Elle portera une casquette, pour respecter l’interdiction. 

Les sportifs•ves racisés•es sont sans cesse renvoyés•es à leur altérité. Mais leur présence est politique et donc sans cesse questionnée. Nous pouvons le voir récemment avec Rénelle Lamote victime de racisme sur les réseaux sociaux. Sa couleur de peau a été prise comme un argument afin de délégitimer sa présence aux JO en tant que française. Si nous sommes sans cesse renvoyés à notre altérité, nous réduire à cela est assez pesant.. Nous n’avons pas le droit à notre individualité. Nous devons sans cesse montrer patte blanche pour ne pas être la cible d’une attaque médiatique. C’est soit un Token et tais toi.

Création canva

Un token est une sorte de faire valoir d’inclusion qui est à différencier de la discrimation positive. Il sera dégainé comme joker si une accusation de racisme ou de discrimination tombe. Ce terme n’est pas forcément utilisé en France car la recherche à ce sujet commence à peine à faire sa place. Un token est une personne issue d’une “minorité” que ce soit au niveau de la race, du genre ou encore de l’orientation sexuelle, qui sera intégrée dans un groupe dominant afin de produire l’illusion d’une inclusion. Pour les sportifs•ves nous allons accepter leur statut et les mettre en avant pour valoriser l’image d’une France multiculturelle à condition qu’ils•elles ne sortent pas de la place qui leur a été  attribuée. Quand ces personnes seront victorieuses elles seront françaises mais cela doit être doublé d’une neutralité sur les sujets trop politiques ou d’un discours en adéquation avec le discours dominant. En cas du non-respect de cette clause implicite, ils seront les enfants déchus de la République, les ingrats, les enfants issus de l’immigration qui n’adhèrent pas aux valeurs françaises. Ce fut le cas pour Karim Benzema dont toutes les interventions publiques sont passées à la loupe et jugées contraires à la République. Ou encore Kylian Mbappé pour son tweet au sujet de la mort du jeune Nahel. À ce moment là, leur francité est remise en question et le terme « français de papier » est apparu. Cela va se suivre par un véritable travail pour remonter le parcours migratoire des concernés•es. 

La double attente à l’égard des sportifs•ves

Crédit photo: Frompasttofuture

Nous attendons beaucoup des sportif•ve•s racisé•es que ce soit au niveau des institutions politiques et des médias mais également au sein de leurs communautés respectives et des personnes non-blanches de manière plus large. Une image lisse d’un côté, des prises de position de l’autre. Le poids est beaucoup plus lourd à porter quand on n’est pas blanc•he•s. Certain•e•s estiment que lorsque l’on a une voix il faut la porter car notre visibilité permet de faire entendre des milliers de voix silencieuses. Mais parfois, cela peut se faire au risque de sa carrière. Dans les hautes sphères de la société, le silence est roi, mais le racisme n’épargne personne quelque soit sa classe. Nous pouvons l’esquiver mais il reviendra toujours. Il suffit de voir ce qui se passe dans les stades de foot à l’égard des joueurs noirs. Encore aujourd’hui des cris des singes et des insultes racistes émanent des tribunes. Ou encore les discours politiques et journalistiques sur la composition ethnique de l’équipe de France. Si en 1996 Jean-Marie Lepen estimait que l’équipe de France n’était pas assez française, presque 30 ans plus tard nous retrouvons le même débat qui n’est plus réservé au FN/RN. 

Capture d’écran 07/24

Nous sommes conscients•es que nous n’avons pas de leste pour avancer socialement. Parfois une ascension sociale se fait au prix de sacrifices personnels et/ou familiaux. Prendre position pour certain•e•s est une évidence. Pour d’autres, la crainte d’une fin de carrière les poussent à rester sur la réserve. Pourtant, la représentation positive est importante. Voir des gens qui nous ressemblent avec de bonnes situations ou du moins des situations valorisées socialement est une nécessité. Même si cela ne suffit pas comme avait pu le préciser Selma Sardouk. En prenant la parole sur des sujets qui peuvent affecter notre quoditien, ces personnalités médiatiques peuvent changer la donne. C’est notamment ce que fait depuis des années Lililan Thuram, qui aujourd’hui ne cesse de dénoncer le racisme dans le sport et plus largement au sein de la société. Comme la société, cet événement est aussi un spectacle où le racisme se met en scéne.  

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