On est là, un podcast dédié aux femmes ayant grandi en cité
Crédit photo : @aim.rea
I 23.10.22 I THU-AN DUONG
Il semblerait qu’il y ait une ligne éditoriale commune pour les films qui traitent des problématiques liées à la banlieue : la colère, les violences policières, les trafics de drogue, la révolte. Les images qu’on nous propose des quartiers populaires sont limitées à ces clichés, dans lesquels nous retrouvons majoritairement – si ce n’est exclusivement – des hommes au centre des récits. Mais où sont les femmes de cité ? Quelle place leur laisse-t-on dans l’espace public ? “Dans les médias, les meufs de cité sont invisibilisées, et quand elles sont présentes, elles sont caricaturées sous des angles racistes, sexistes et classistes. Elles sont souvent résignées à cacher leurs origines sociales pour éviter d’être stigmatisées”. Ces histoires, déjà stigmatisantes pour les habitants de quartier populaire en général, laissent complètement de côté les femmes de cité qui se situent dans ce qu’Annabelle appelle “l’angle mort des luttes sociales”.
Annabelle, créatrice de contenu conscient et décomplexé
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“Je ne serai jamais perçue comme neutre. Mon existence même est politique”. Annabelle a 25 ans et fait de la création de contenu depuis sept ans déjà, sous le nom A.I.M. sur Youtube, @aim.rea sur Instagram ou encore @bitchykikimood sur TikTok. Elle y parle avec humour et franchise de plein de sujets tels que la confiance en soi, la beauté naturelle, l’écologie, le féminisme, le racisme, l’égalité et plus encore. L’étendue des thèmes qu’elle traite est le fruit de ce qui la touche directement, même si elle s’est retenue pendant longtemps d’en parler publiquement et ouvertement. L’évolution du contenu qu’elle propose correspond aussi à une évolution d’elle-même. Elle a commencé par des vidéos haul dans lesquelles elle évitait à tout prix de mentionner d’où elle venait avant le déclic qui la poussera à produire du contenu qui lui ressemble et qui lui manque. Ce déclic donnera notamment naissance à la co-réalisation du documentaire “Décolonisons l’écologie” et la production du podcast On est là qu’elle considère comme son “coming-out social”.
On est là, la voix des femmes de cité
On est là est un podcast dédié aux femmes ayant grandi dans une cité créé à partir d’une frustration de ne pas se voir justement représenté dans l’espace public. “Les seules fois où on les voit, c’est dans des représentations désastreuses, et ça ne choque personne”. Annabelle décide d’y remédier en invitant sur son podcast quatre femmes qui ont grandi dans des cités différentes et qui ont des parcours de vie hétérogènes. Chaque femme témoigne de son expérience, des forces et des difficultés liées à son enfance et adolescence en quartier populaire, de son évolution, et de sa vision du monde. “Le but est de les mettre en avant à travers un panel de représentation très large et qu’on se rende compte de la pluralité de nos existences afin de défaire les préjugés sur les meufs de cité, et de mieux comprendre les problématiques qui nous touchent”.
Crédit photo : @aim.rea
Le premier épisode met en avant Chahrazade, une photographe du 92 qui nous parle de sa vision du monde, de son enfance, des clivages sociaux, du fait d’évoluer avec ses multiples identités en tant que femme, maghrébine, queer, de quartier populaire. Le deuxième épisode sortira le 26 octobre et a été enregistré avec Meesyz, une rappeuse de Belleville. Le troisième sera disponible le 2 novembre. On y découvrira Ashley, qui vient de Grigny dans le 91 et qui travaille maintenant dans la publicité à Paris. Enfin, l’épisode de clôture de cette première saison qui sortira le 9 novembre sera dédié à la mère d’Annabelle, Alice, qui nous racontera son parcours depuis la Réunion, elle qui est venue en France par amour “J’ai posé des questions à ma mère que je ne lui avais jamais posé auparavant. J’ai été surprise de certaines de ses réponses. C’était un moment très émouvant, ce n’était pas facile mais je ressors de cet entretien avec du contenu non seulement pour le podcast, mais aussi et surtout pour moi”.
Un projet pour s’assumer pleinement
Se livrer avec sa famille sur son histoire et ses origines sociales prend toute son importance quand on réalise les efforts qu’Annabelle a fourni lors de ses débuts sur Youtube pour ne pas les mettre en avant. De peur d’être stigmatisée, elle a préféré omettre cette partie de son identité. “Quand j’arrive quelque part, j’observe le comportement des autres pour comprendre comment je dois me comporter, je code-switch à fond. Je sais faire ça par cœur. Mais j’ai fini par comprendre que faire des pirouettes pour être acceptée ne servirait à rien, parce que je serai toujours stigmatisée, que je le veuille ou non. Du coup, j’ai décidé d’assumer ça pleinement, de faire ce podcast dédié aux femmes de cité et de m’en foutre de l’étiquette.”
Dans les études, le travail, les milieux féministes et écolos qu’elle cotoie en tant que militante, elle sent qu’elle n’y a pas sa place puisqu’elle y croise très peu de gens qui lui ressemblent et qui partagent son parcours de vie. “J’ai eu le sentiment de performer le savoir que j’avais acquis, j’essayais de me remplir la tête et de montrer que je savais tout pour être à la hauteur, mais au fond, je ne me sentais pas intégrée. Je ne peux pas changer ces cercles-là, les gens et ce qu’ils font, mais je peux créer les représentations que j’ai envie de voir et qui me correspondent”.
À travers ce podcast, Annabelle élargit le regard qu’on peut porter sur les femmes, les cités, mais aussi sur les classes populaires. Un épisode hors série sortira le 16 novembre et mettra en avant une femme racisée issue de la campagne française. Il permettra de créer des liens à travers les problématiques communes liées à la précarité et aux stigmas. Pour les personnes non concernées, le podcast On est là est une invitation à mieux comprendre ces enjeux et à se défaire des stéréotypes et pour celles qui le sont, à s’assumer pleinement et à raconter leurs histoires.
N’hésitez pas à suivre l’actualité d’Annabelle sur ses réseaux sociaux et à écouter le podcast On est là disponible ici ! Vous pouvez aussi retrouver Annabelle dans notre épisode Être Noir·e et photographe/vidéaste.