Métissage et racisme intra-familial
I 24.01.25 I Nelly Gardier
Le métissage est souvent présenté dans les médias comme étant une solution au racisme, pourtant, au sein même des familles “mixtes” peuvent se perpétuer des stéréotypes racistes et du colorisme.
Le métissage est souvent présenté dans les médias comme étant une solution au racisme, pourtant, au sein même des familles “mixtes” peuvent se perpétuer des stéréotypes racistes et du colorisme.
La famille est traditionnellement représentée comme le cœur des retrouvailles, un espace privilégié de convivialité et de partage entre ses membres. Cette image, profondément ancrée dans les représentations collectives – qu’elles soient véhiculées par la littérature, le cinéma ou la publicité – est accompagnée d’une injonction sociale forte, qui pousse à vivre ces moments familiaux de manière idéale et joyeuse. La pression sociale autour de ces instants, supposés être synonymes de joie, peut devenir pesante, voire culpabilisante, laissant ceux qui s’en émancipent ressentir un sentiment d’exclusion. Pourtant, la famille n’est pas toujours une ”safe place”, un endroit sûr, elle peut être toxique et s’avérer être le théâtre de multiples tensions et incompréhensions bien loin de la vision idéalisée véhiculée par les films hollywoodiens.
On parle souvent de ce personnage du “tonton raciste” qui sort des remarques problématiques au Réveillon, c’est presque devenue une blague, une référence humoristique dans les sketchs où il est dépeint comme ce personnage potache ou maladroit symbole d’une époque soi-disant révolue où l’on pouvait “tout” dire. Mais qu’en est-il lorsqu’on est une personne racisée et qu’on est la cible des remarques de son “tonton raciste” ?
On pourrait imaginer que ce personnage cliché n’existe que dans les familles blanches et qu’il n’est par nature pas compatible avec les familles métissées ou mixtes. Pourtant, les préjugés racistes peuvent bel et bien exister là où différentes origines et couleur de peau sont mêlées, même au sein d’une même famille qui peut être l’endroit où sont révélés les stéréotypes raciaux. Présentées comme modèle de tolérance et d’union des peuples, les familles “mixtes” le sont-elles réellement ?
La famille c’est sacré !
Il existe un réel tabou concernant les violences intra familiales qu’elles soient d’ordre psychologique ou physique. La famille est un endroit sacré, les liens du sang sont considérés comme les plus puissants, ce qui explique que les victimes de violence intra familiales sont souvent réduites au silence de peur de tout faire voler en éclat.
Parmi ces violences, il y a les micro-agressions et les agressions racistes.
Depuis quelques années, le métissage est présenté comme une solution au racisme, le fait de représenter du métissage équivaudrait à montrer que la société n’est plus raciste. On constate d’ailleurs dans les publicités, les productions cinématographiques, les séries, lorsqu’est représentée une personne noire elle sera le plus souvent en couple avec une personne blanche ou d’une origine différente de la sienne. Il est bien plus rare de voir une personne noire en couple avec une autre personne noire, ces couples là sont invisibilisés presque considérés comme communautaires. Le métissage est marketé dans les médias comme étant un gage de progressisme, de modernité qui correspondrait plus à la société française actuelle . On assiste à une véritable tokenisation des couples mixtes pour correspondre à cette utopie de mixité.
Le métissage, une arme de domination raciale ?
Crédit photo: Paul Bill
Historiquement, le métissage a pu être utilisé par les colons européens comme arme de blanchiment des populations afin de (grand) remplacer les populations autochtones, ça a pu être le cas au Brésil où l’immigration européenne était très encouragée au XIXème siècle.
Le métissage peut donc être utilisé comme une arme d’effacement culturel (“erasure” en anglais) dans un système de suprématie blanche. Dans les Antilles françaises, il s’agissait de distinguer les blancs des noirs et des métisses afin de structurer une nomenclature des races qui plaçait les blancs en tant que race supérieure et baromètre de la valeur de toutes les autres catégories de personnes. C’est ainsi que sont nés entre autres les termes de métis, de quarterons (un quart noir), octavon (un huitème noir)…
Comme l’explique Solène Brun dans son ouvrage “Derrière le mythe métis”, il y a eu un va et vient, une hésitation des colons à se métisser car dans un sens, oui , il fallait blanchir la population dans la colonie avec le “sang régénérateur des blancs”, mais qu’en était-il des métisses, ayant une double appartenance, il fallait veiller à ce qu’ils penchent du bon côté. Pour pallier à cette peur de la trahison des blancs par les métisses, on peut citer l’exemple des enfants nés d’un père colon et d’une mère noire africaine en Côte d’Ivoire, qui ont été placé en orphelinat afin de recevoir une éducation française et de créer une élite métisse, apte à faire appliquer la politique française.
On est bien loin du métissage en tant que modèle de tolérance et d’union des peuples.
L’enfant métisse et le fétichisme racial
Les Kardashian ont contribué à lancer la mode des enfants métisses même si elles ne sont que le symptôme d’un problème bien plus important, celui du colorisme et du fétichisme racial. Il y a des femmes blanches qui déclarent, sans honte, rêver avoir des enfants métisses et qui conditionnent le choix de leur partenaire pour atteindre cet objectif. Cela peut s’apparenter à de la négrophilie et à du fétichisme racial qui s’étend même jusqu’aux enfants.
Les enfants métis ne sont pas des accessoires de mode ni des objets mais ils sont presque considérés comme tels, ils sont réifiés pour leur apparence et pour ce qu’ils symbolisent. On le voit sur les réseaux sociaux, de nombreux enfants métis sont mis en scène, et par la même occasion, privés de leur intimité.
On trouve par ailleurs, une multitude de comptes sur Instagram ou Tiktok tenus par des couples mixtes sûrement atteint du “syndrome du personnage principal”, l’essentiel de leur contenu (et de leur vie) tourne autour du simple fait de partager la vie d’une personne qui appartient à un autre ethnie. On pourrait penser que c’est là leur principal trait de personnalité. Les couples mixtes qui s’exposent en ligne, sous couvert d’humour ne font qu’alimenter les préjugés racistes existants. On a pu le voir avec un Tiktok qui a créé une polémique récemment où’un homme blanc qui touche l’afro de sa femme s’exclame : “on dirait une nouvelle race de chien” en se moquant ouvertement de la coiffure de cette dernière.
En tant qu’objet, l’apparence des enfants métisses est très tôt commentée, elle est presque une obsession pour les parents qui ont donné naissance à leur créature. En vertu du colorisme, il y a un idéal physique qui pèse sur l’enfant métisse auquel il faut correspondre pour être un enfant métisse réussi : les cheveux longs bouclés et pas crépus, le teint hâlé mais pas trop foncé, les cheveux les plus clairs possibles, en bonus : les yeux de couleur verts ou bleus et là, c’est le jackpot. En bref, avoir des caractéristiques qui tendent le plus possible vers la blanchité (en réalité ce sont des caractéristiques qui existent chez beaucoup d’autres groupes ethniques mais que la blanchité s’est approprié comme les “traits fins” par exemple).
L’enfant métisse est-il le nouvel ami noir ?
Crédit photo: Igordoon Primus
Les enfants métisses peuvent être utilisés comme passe droit pour un parents blanc ayant intégré des biais racistes. Ce parent pense que le fait d’avoir des enfants métisses lui permet d’étaler des discours racistes sans pouvoir être ni repris ni soupçonné de racisme. Il suffirait de sortir la carte de “j’ai un enfant noir donc je peux pas être raciste” à la manière de “j’ai un ami noir” de Nadine Morano qui ne serait pas raciste car elle aurait une amie tchadienne plus noire qu’une arabe (France 5, 2012).
On a aussi le cas de personnes blanches qui se pensent noires car elles ont un enfant métisse. L’exemple le plus parlant est celui de Clémentine Célarié, une actrice française blanche qui a déclaré “je suis noire” sur le plateau de l’émission “Quelle époque”. Pour justifier cette déclaration, elle dit qu’elle est née en Afrique puis finit par ajouter qu’elle a un enfant métis. C’est très problématique car elle ne subit pas directement la charge raciale d’une femme noire au quotiden et pourtant se pensent légitime de parler de sujets qui ne la concerne pas notamment parce qu’elle a eu un enfant avec une personne noire.
J’ajoute que le discours “on est tous un peu racistes” véhiculé par des films comme “Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu? ”( réalisé par Philippe de Chauveron, 2014) ne tient pas la route avec le racisme systémique, nous ne sommes pas tous égaux face aux racismes, les minorités racisées en sont évidemment les réelles cibles.
Les conséquences du racisme intra familial
Il est important de libérer la parole à ce sujet car le racisme et les discriminations raciales intra familiales peuvent avoir un réel impact sur l’estime de soi des personnes racisées. Il peut y avoir un problème identitaire, déjà, parce que la famille est le lieu de reproduction sociale mais aussi raciale et que les enfants issus de couples mixtes peuvent être confrontés à des questionnements identitaires plus importants que les autres car ils n’appartiennent pas à la même catégorie raciale que leurs parents.
Être confronté à des commentaires désobligeants et racistes par des membres de sa propre famille au sujet de notre appartenance raciale peut installer une grande souffrance, faire intérioriser des complexes et atteindre la confiance en soi de façon irrémédiable.
Si l’oppression raciste qui existe dans la société perdure au sein même de la famille, il n’y a aucun endroit où on peut réellement être soi-même. Il peut également exister un favoritisme et des différences de traitement des parents envers leurs enfants en vertu du colorisme. Cela est destructeur pour la confiance en soi des enfants dévalorisés et rabaissés parce que “plus noirs ou plus foncés” que leurs frères et soeurs, de plus, cette comparaison constante abîme durablement les relations au sein même de la fratrie.
Il est néanmoins important pour les parents ou les membres de la famille de ne pas tomber dans une logique “colorblind”, c’est-à-dire le fait de ne pas voir les couleurs, ou plutôt de faire semblant de ne pas les voir. Il est important de connaître et de célébrer ses origines et faire semblant de ne pas voir les couleurs ne solutionnera rien.
La famille devrait être un lieu d’acceptation et d’épanouissement pour tous les membres qui la composent, il est tout à fait acceptable de privilégier son bien-être en prenant ses distances, si on en ressent le besoin, avec une famille raciste, et ce, même pendant des occasions telles que des fêtes religieuses ou des anniversaires.
Sources et ressources pour aller plus loin :
- “Derrière le mythe métis”, Enquête sur les couples mixtes et leurs descendants en France, Solène Brun, Éditions la Découverte, 2024
- “Mécanique du privilège blanc, Comment l’identifier et le déjouer ?”, Édition Binge, 2024
- Familles mixtes – Tensions entre couleur de peau et amour, Lia Vainer Schucman, Editions Anacaona, 2022
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