THE COLORED MUSEUM, ENTRETIEN AVEC LE METTEUR EN SCÈNE RAYMOND DIKOUMÉ

Crédit photo: Pierre Gondard 

I 21.12.24 I AYRTON M. I PENDA FALL I RYSMA P. I SIRANDOU D.

Le théâtre, miroir des sociétés, permet de refléter et de questionner les dynamiques sociales et identitaires. The Colored Museum s’inscrit dans cette tradition en offrant une satire incisive de l’expérience noire, déconstruisant les stéréotypes et célébrant la diversité des voix. Cette œuvre essentielle, adaptée en France par Raymond Dikoumé, rappelle l’importance de la représentation pour rendre visibles des récits trop souvent marginalisés.

Le Black Theater : contexte et héritage américain

Le Black Theater est un mouvement culturel et artistique né aux États-Unis dans un contexte de lutte pour les droits civiques et d’émancipation des populations afro-américaines. Ses origines remontent à la fin de l’esclavage et se poursuivent avec l’apparition de compagnies et de lieux dédiés à la représentation de l’expérience noire à travers le théâtre. Ce mouvement vise à contester les stéréotypes raciaux véhiculés par les représentations blanches et à affirmer une identité culturelle propre, souvent invisibilisée ou caricaturée.

Dans les années 1960 et 1970, le Black Theater connaît un essor marqué par le Black Arts Movement, porté par des figures comme Amiri Baraka. Il s’agit d’un théâtre engagé, parfois radical, qui reflète les aspirations, les luttes et les défis des communautés noires. Les pièces abordent des thématiques variées, allant de l’histoire de l’esclavage à la critique des inégalités systémiques, en passant par les questions d’identité et de spiritualité.

Le Black Theater n’est pas seulement un espace de contestation politique : c’est aussi un lieu de célébration de la culture noire dans toute sa diversité, intégrant des éléments tels que la musique, la danse ou les traditions orales africaines. Ce mouvement a profondément influencé la scène théâtrale et culturelle américaine, tout en inspirant des artistes noirs à travers le monde à revendiquer leur propre espace d’expression et à raconter leurs histoires, souvent déformées ou marginalisées par les institutions dominantes.

Crédit photo: Pierre Gondard

Raymond Dikoumé : “le moment le plus fort de ma carrière théâtrale”

Raymond Dikoumé découvre le mouvement du Black Theater lors de son voyage aux États-Unis, au début des années 2010. Par l’intermédiaire d’un ami, il rencontre Jordan Mahome, un metteur en scène afro-américain, qui lui propose d’interpréter un personnage français, un esclave, dans sa pièce The Colored Museum. Cette expérience marque profondément le comédien : tous les artistes impliqués sont Noir·es, une situation qu’il n’a jamais connue en France.

Durant la préparation de la pièce, Raymond Dikoumé évolue dans un environnement où il peut s’épanouir pleinement en tant qu’artiste d’origine africaine. Pour le premier tableau, Jordan Mahome lui demande de parler en bassa, une langue camerounaise. Avoir l’opportunité de s’exprimer dans la langue de ses origines lui permet d’affronter le mal du pays qu’il ressent aux États-Unis. Pleurer en bassa lui fait réaliser qu’il interprète pour la première fois un rôle véritablement connecté à son histoire personnelle. Cette prise de conscience renforce son lien avec son personnage.

De manière générale, ses nouvelles rencontres américaines lui offrent un accès plus direct à une prise de conscience qu’il ne pouvait pleinement explorer ni en France ni au Cameroun. Elles lui permettent également de mieux comprendre les parcours et les œuvres des artistes afrodescendants.

Les États-Unis lui ont beaucoup apporté, et il en est profondément reconnaissant. Toutes ces inspirations nourrissent son envie de monter ce spectacle en France, un projet qu’il parvient à concrétiser une dizaine d’années plus tard.

Crédit photo: Pierre Gondard

Le colorblind à la française à encore frapper

The Colored Museum a été joué pour la première fois à Paris, au Fawa, le 4 octobre dernier, dans une version audacieuse qui a captivé son public.

La mise en scène de Raymond Dikoumé se distingue par son approche immersive et expérimentale, reprenant l’essence d’un musée. Les spectateurs sont invités à déambuler dans un labyrinthe de pièces, découvrant ainsi huit tableaux « vivants » qui explorent les réalités sociales, culturelles et politiques des Afro-Américain·es. Ces tableaux s’appuient sur une satire incisive, du gospel et des récits personnels pour donner vie aux expériences historiques et contemporaines des communautés afrodescendantes.

Parmi les scènes marquantes, on retrouve une hôtesse de l’air accueillant les passagers sur un vol métaphorique à bord d’un négrier, un cadre noir confronté à ses dilemmes identitaires et un homme explorant son identité dans une discothèque gay. Ces scènes résonnent particulièrement avec les réalités des Afrodescendant·es en France, tissant un lien universel entre les différentes diasporas.

En sortant de The Colored Museum, les spectateurs·rices témoignent d’un sentiment de fierté et d’émancipation. Plus qu’une simple performance théâtrale, cette adaptation célèbre l’identité noire dans toute sa complexité et sa diversité, affirmant le droit d’être pleinement et librement « unapologetically Black ».

Cette œuvre s’inscrit non seulement comme un hommage à l’histoire du Black Theater, mais également comme une réflexion nécessaire sur les enjeux contemporains d’inclusion et de représentation culturelle

Crédit photo: Pierre Gondard

Projets culturels « par nous et pour nous » vus comme une menace pour la France

« J’ai l’impression d’avoir compris plus de choses sur mon identité d’artiste afrodescendant via la diaspora aux États-Unis qu’en France. » Les initiatives dites « communautaires » sont très souvent décriées en France. Il existe une certaine peur face à ces types de projets, perçus comme une menace pour la vision universaliste et colorblind du pays.

De par son histoire, la République française a voulu créer une seule et unique représentation d’unité nationale, en se détachant autant que possible de toute forme de différence visible. Cependant, cette vision rigide sert à discréditer, nier et défier les revendications sociales et politiques, tout en maintenant un statu quo bénéfique pour la population dominante dans un contexte de violences et d’inégalités systémiques.

Une pièce dédiée aux personnes noires est-elle, par essence, une pièce anti-blanche ? Bien que cette question puisse sembler absurde, elle révèle la difficulté profonde d’aborder sereinement la notion de communauté en France. Pourtant, mettre en avant une partie de la population n’équivaut pas à en dévaloriser une autre. Au contraire, l’objectif principal est de célébrer et partager un vécu singulier ancré dans la multiplicité culturelle française.

L’art, et ici particulièrement le théâtre, est un médium de prédilection pour mettre en lumière des questionnements et des réflexions pertinentes, tout en éveillant la sensibilité du spectateur.

Conclusion

Soutenir The Colored Museum passe par une action concrète : contribuer à la cagnotte dédiée via ce lien. Ce financement est essentiel pour permettre aux prochaines représentations de voir le jour au FAWA en mai 2025. Comme évoqué tout au long de l’article, les œuvres engagées sur le plan racial rencontrent de grandes difficultés à obtenir les moyens nécessaires pour exister. En participant à cette cagnotte, vous devenez acteur·rice de ce projet, permettant à cette pièce audacieuse de continuer à sensibiliser, célébrer et rassembler autour d’une réflexion essentielle. Chaque don compte.

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