L’histoire coloniale derrière les Jeux Olympiques

I 30.07.24 I  Laï

Depuis le début de la 33ème édition des Jeux Olympiques, le monde entier a les yeux rivés sur la capitale française. Si cette compétition planétaire véhicule des valeurs de fraternité, d’inclusion et de respect, l’histoire derrière sa création présente des côtés beaucoup plus sombres.

Depuis le début de la 33ème édition des Jeux Olympiques, le monde entier a les yeux rivés sur la capitale française. Si cette compétition planétaire véhicule des valeurs de fraternité, d’inclusion et de respect, l’histoire derrière sa création présente des côtés beaucoup plus sombres.

L’avènement des JO modernes

Crédit photo : Albert Harlingue / Roger-Viollet

Né en 1863 à Paris, le baron Pierre de Coubertin est un grand adepte de sport, qu’il voit comme un outil participant à l’épanouissement des corps et des esprits des habitants du monde occidental. Il pratique d’ailleurs plusieurs activités : de l’aviron à l’escrime, en passant par l’équitation et la boxe.

Désireux de répandre le sport à travers le monde, il prend pour inspiration les Jeux olympiques antiques, dont on attribue souvent l’origine au site d’Olympie, en Grèce (776 avant J.-C).

Une théorie contestée par l’existence des fresques de Beni Hassan sur des tombeaux en Égypte, datant de – 2000 avant J.-C. On peut y observer les premières représentations de sports : tir à l’arc, lutte ou encore athlétisme. Les Jeux olympiques seraient donc une création des anciens Égyptiens, non pas des anciens Grecs.

Pendant douze siècles, ils sont organisés tous les quatre ans, puis supprimés. En 1894, âgé de 31 ans, Coubertin fonde le Comité international olympique (CIO) à Paris. 1896 devient l’année des premiers jeux modernes, à Athènes. 

Crédit photo : Wikipédia – Détails de scènes de lutte – Beni Hassan, tombe de Baqet III

Coubertin, une vision racialiste du sport

« Dès les premiers jours, j’étais un colonialiste fanatique… Les races sont de valeur différente, et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance. » Des paroles sans équivoque, qui figurent dans les « Mémoires » de Coubertin, conservées dans les archives du CIO. Il ira même plus loin à l’occasion des JO de Berlin en 1936, que les nazis utilisent comme une vitrine de promotion du racisme et de l’antisémitisme.

Alors que beaucoup (notamment les États-Unis ou encore les communistes en Europe) appellent au boycott de cette édition, Coubertin – malgré sa démission du CIO en 1925 – décide d’aller à contre-courant en exprimant son soutien au régime d’Hitler.

Ce dernier sera fortement contrarié par les quatre médailles de Jesse Owens, grand athlète noir américain, en sprint et en saut en longueur. Des victoires hautement symboliques qui défient la théorie de la supériorité de la « race aryenne » du Führer.

Crédit photo : The Associated Press

C’est lors d’un voyage en Angleterre que Coubertin réalise l’importance accordée au sport
par l’empire colonial britannique dans le maintien de la paix dans ses colonies.

En effet, il observe qu’il permet l’expression « pacifiée » des exutoires, des « mille rancunes, mille jalousies contre l’homme blanc » (Coubertin cité in Deville-Denthu, 1997). Il contribuerait également à modifier les valeurs indigènes au profit de celles des colons, permettant progressivement d’arriver à de réels changements culturels. Une façon vue comme efficace et positive d’entériner le pouvoir des pays colonisateurs et de leurs pratiques.

Cette politique rejoint celle des autorités européennes, désireuses de contenir les soulèvements populaires qui pourraient menacer l’ordre social établi dans les « métropoles » (Elias & Dunning, 1994). Cependant, cette philosophie peine quelque peu à trouver des adeptes dans les colonies françaises car les colons redoutent les performances sportives des peuples colonisés, qui pourraient les battre sur leur propre terrain, humiliation ultime à leurs yeux.

Retour sur les « Journées anthropologiques »

Crédit photo : The Smithsonian Museum

En 1904, la ville de Saint-Louis, dans le Missouri (États-Unis) accueille la 3ème édition des Jeux Olympiques modernes, surnommés les « Jeux de la honte », car ils mettent à l’écart les compétiteurs noirs américains. En parallèle, en marge de l’exposition universelle, sont organisées au même endroit les « Journées anthropologiques » pendant deux jours.

Des peuples du monde entier, considérés comme des « sous-hommes » ou des « sauvages », y sont mis en compétition. Parmi ces « indigènes » : des Navajos, des Sioux, des Aïnous du Japon, des Patagoniens « d’Amérique du Sud », des Cocopa « de la péninsule de Baja California au Mexique », des Syriens de Beyrouth, des Pawnees, des « Zoulous et des Pygmées d’Afrique », ou encore des Philippins (Moros, Negritos et Igorots).

Une déshumanisation des corps racisés

Véritables « zoos humains », ces espaces donnent la possibilité aux visiteurs blancs de venir observer les athlètes. Ceux-ci étaient contraints de participer à des épreuves dont l’objectif officiel était de tester leurs capacités physiques dites « naturelles » et leur force pure. Certaines étaient même principalement pensées pour eux : lancer de boue ou de pierres, combats entre tribus autochtones d’Amérique, escalade d’arbres…

Leurs performances sont en réalité décortiquées par des anthropologues venus appuyer leurs théories sur la supériorité de la « race blanche ». Du milieu du XIXème siècle à la Seconde Guerre mondiale, soit pendant un siècle, 35 000 êtres humains seront exposés devant près de 1,5 milliards de visiteurs.

Crédits photos (gauche et droite) : Jessie Tarbox Beals / Missouri Historical Society

L’évolution des Jeux anthropologiques

Coubertin propose de renforcer l’autorité des pays colonisateurs sur les peuples colonisés en créant des jeux régionaux, les Jeux africains, dont la première édition aurait lieu à Alexandrie, en Égypte, en 1927. Cet appel au développement du sport en Afrique arrive longtemps avant les premiers mouvements d’indépendance sur le continent.

Après un report en 1929, les Jeux africains sont annulés car les pouvoirs coloniaux (notamment français et allemands) craignent « qu’une victoire, même pour rire, pour jouer, de la race dominée sur la race dominatrice prendrait une portée dangereuse et risquerait d’être exploitée par l’opinion locale comme un encouragement à la rébellion ». Les Jeux africains ont finalement lieu pour la première fois en 1965, à Brazzaville, après les premiers Jeux méditerranéens et panarabes (évènements tous deux organisés à Alexandrie, respectivement en 1951 et en 1953).

Le sport comme outil de domination coloniale : l’exemple du football

Le football figure au programme de chaque édition des Jeux Olympiques depuis 1900, à l’exception de ceux de Los Angeles en 1932, en raison d’un différend entre la FIFA et le CIO au sujet de l’amateurisme. Sport le plus populaire au monde, son développement s’est fait de façon différenciée sur le continent, par le biais de différentes puissances coloniales européennes. Chacune d’elles à sa manière : avec souplesse ou autorité, par la rue ou via l’école, en utilisant l’influence religieuse ou la force militaire, pour les Africains et les Blancs, ou pour ces derniers uniquement.

Si le football se répand plutôt vite dans les colonies britanniques au début du 20ème siècle, la situation est toute autre dans les colonies françaises. En Afrique du Nord, les premiers clubs sont créés à la fin du 19ème siècle, mais uniquement pour les colons européens. Après la Première Guerre mondiale, les populations locales font de même et créent leurs propres équipes. Blancs et musulmans cohabitent dans les ligues créées à partir de 1918.

Quand le ballon rond sert l’émancipation : le cas de l’Algérie

Crédit photo : Wikipédia

Pensé comme un instrument d’assimilation au mode de vie européen, le football devient, au fil des décennies, un moyen d’instaurer une ségrégation raciale, puis un réel vecteur d’opposition à la colonisation, « une arène de contestation et un lieu à partir duquel certains pouvaient s’émanciper socialement et politiquement ». C’est le cas par exemple au Maroc, en Tunisie, au Nigéria et au Congo belge.

Illustre figure de la négritude et de l’anticolonialisme, écrivain mais aussi médecin, le Martiniquais Frantz Fanon décide, en 1956, de quitter ses fonctions à l’hôpital psychiatrique de Blida (non loin d’Alger). Il rejoint ensuite le Front de libération nationale (FLN) et s’engage aux côtés du gouvernement provisoire de la République algérienne, en Tunisie.

Lors de ses recherches, Fanon constate que les structures militaires sont propices à l’instauration de dispositifs liés au sport. Ainsi, en pleine guerre d’indépendance algérienne, le FLN monte une équipe de football, sans l’autorisation des autorités françaises. Non reconnu par la Fédération internationale de football, ce groupe est composé de plusieurs joueurs professionnels algériens évoluant dans les plus grands clubs en France métropolitaine, mais ayant choisi la défection pour représenter les couleurs de leur pays d’origine. Ils parviendront à prendre part à une centaine de compétitions à travers le monde (Vietnam, Chine, Europe de l’Est, Irak, Hongrie, Yougoslavie, Tunisie…) et seront le porte-voix de la lutte pour l’indépendance algérienne jusqu’en 1962.

Crédit photo : Getty Images – De gauche à droite : Mustapha Zitouni, Kadour Bakhloufi, Abdelaziz Ben Tifour,
Abdel Rahman Boubaker et Ammar Rouei en Tunisie (1958)

La décolonisation pose les bases d’une potentielle refonte de l’activité sportive,
à l’endroit où les peuples indigènes avaient été dépossédés
de leur autonomie et de leur pouvoir d’action.

Dans Les damnés de la terre, publié en 1961, Fanon se penche sur le développement du sport dans les nations postcoloniales. D’après lui : « L’homme politique africain ne doit pas se préoccuper de faire des sportifs mais des hommes conscients qui, par ailleurs, sont sportifs. Si le sport n’est pas intégré dans la vie nationale, c’est‐à‐dire dans la construction nationale, si l’on construit des sportifs nationaux et non des hommes conscients, alors rapidement on assistera au pourrissement du sport par le professionnalisme, le commercialisme. »

Retour au présent

Au total, ce sont plus de 10 500 athlètes représentant les territoires de 206 Comités Nationaux Olympiques, ainsi que l’équipe olympique des réfugiés formée par le CIO, qui participent aux Jeux Olympiques de Paris cette année.

Dans un contexte géopolitique des plus troubles, le sport apparaît plus que jamais comme un terrain d’expression des peuples, en particulier de ceux des anciennes nations colonisées. Une plateforme de choix leur permettant d’exposer la force de leurs valeurs et la richesse de leur culture, mais aussi d’écrire eux-mêmes de nouvelles pages de leur Histoire.

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